Il se cache, dans les hameaux entourant le village Charazani, un trésor en voie de disparition. C’est à cet endroit, au milieu des Andes boliviennes, que vivent la plupart des derniers Kallawaya, ces médecins herboristes traditionnels, reconnus par l’UNESCO depuis 2003, comme patrimoine oral et immatériel.

Environ 80 % de la population bolivienne aurait consulté, au moins une fois dans sa vie, un Kallawaya. Les gens s’y réfèrent pour leur approche plus cohérente avec leur culture que la médecine contemporaine, pour le prix plus abordable, pour la langue et les croyances communes.

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Leur approche se base sur des connaissances et des croyances pour prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies. Selon eux, la santé passe par l’association du monde spirituel et de la nature, d’où leur grande dévotion envers la Mère Terre, la Pachamama. Elle leur procure ce dont ils ont besoin, les herbes et plantes médicinales poussant naturellement en abondance.

Un traitement prodigué par un Kallawaya demande ainsi foi et patience. Selon ces médecins, la guérison est d’abord un état d’esprit. Ils considèrent dans leur traitement les aspects physique, émotionnel, psychologique et spirituel des malades et leur associent plantes, psychothérapie et rituels d’offrandes.

Selon le ministre Victor Cáceres, responsable de l’éducation et des sciences, ce respect de la nature fait partie de la culture bolivienne. Et les savoirs ancestraux des herboristes sont la fierté du pays. Il nomme même la médecine traditionnelle comme leur expertise scientifique distinctive.

Une médecine qui se fragilise

Chacun des villages de la région a son école Kallawaya. La médecine traditionnelle se transmet aussi de père en fils dans une langue connue d’eux seuls, le boquen. Selon Crispin Calancha, Kallawaya dans le petit village de Chari, « il faut connaître les plantes, leur préparation et la posologie. » Certains médecins connaissent les propriétés de plus de 5 000 espèces. Et comme beaucoup de Kallawaya, il a appris son métier en accompagnant son père. À 45 ans, il a déjà 20 ans de pratique derrière lui. Ses fils l’imiteront.

Selon le directeur de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, la reconnaissance des Kallawaya font écho à « l’urgence ressentie de protéger ce patrimoine compte tenu des menaces que font peser sur eux les modes de vie contemporains et les processus de mondialisation. »

Des efforts de sauvegarde des connaissances et de la culture Kallawaya existent. En plus des livres qui consignent les propriétés des plantes, un documentaire Living Heritage : The Shamans of the Incas a été tourné par l’Autrichien Richard Ladkani. Présenté en Europe, le film raconte la vie de Aurelio Ortiz Huaricallo. Rencontré à Charazani, ce médecin dit participer à plusieurs ateliers donnés chaque année à l’université à Cochabamba, avec 80 autres Kallawaya venant de 36 ethnies dispersées en Bolivie. Ils échangent sur leurs connaissances, leurs rites, leurs musiques, leurs habits, pour fortifier leur culture face au courant d’extinction qui les mine.

En quittant Chari, on ne peut cependant que remarquer les ouvriers installant des fils électriques aux poteaux récemment plantés. Ils ne sont plus qu’à quelques jets de pierre des premières maisons. La lumière, mais surtout la télévision, arrivent.

Rituel d’offrandes aux divinités

Le « milluchar », un rituel kallawaya pour la chance, accompagne les guérisons, protège les voyageurs, appelle ou arrête la pluie, garantit de bonnes récoltes ou bénit une nouvelle construction. Avant la cérémonie, de même pour les consultations, le Kallawaya revêt son poncho rouge distinctif, le pocaponcho. Il porte en bandoulière son sac rouge orné de pièces de métal, le chuspa. Il y met des feuilles de coca séchées à mastiquer avec lesquelles il peut lire le futur. S’ajoute ensuite son grand sac multicolore rempli d’herbes séchées, le kapachu. C’est ainsi que les Kallawaya marchent de village en village pour prodiguer leurs soins. Ils quittent leur famille souvent pendant plusieurs mois. S’ils utilisent désormais les moyens de transport pour aller dans les grandes villes, ils restent les seuls médecins à atteindre plusieurs coins reculés à pied.

Pendant la messe blanche de plus de deux heures, Crispin Calancha enchaîne prières et incantations à voix basse, meublées par la disposition d’offrandes. Dans de petites assiettes roulées en laine d’alpaca et en coton, il dépose feuilles de coca, gras de lama, brindilles de plastique multicolores, pétales de fleurs, morceaux de sucre, noix... Il asperge le tout d’alcool à l’aide d’un oeillet. Tous ses gestes sont empreints de lenteur, de totale présence. Il invoque les « após », les esprits suprêmes en langue indigène quechua. En terminant, un feu consume les offrandes dans le parfum suave du bois d’eucalyptus.

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