Hank Margolis n’a rien d’un scientifique vedette. Discrètement, depuis cinq ans, ce chercheur a dirigé, à partir de l’Université Laval, le réseau de surveillance du cycle du carbone terrestre canadien, Fluxnet-Canada. Ce projet récemment disparu ouvre aujourd’hui la voie au nouveau réseau d’envergure, le Programme canadien du carbone (PCC). Telle une succession forestière, le PCC se nourrira de l’humus riche en découvertes de son prédécesseur pour pousser en avant l’expérience scientifique. Il a été lancé le 9 mars dernier, à Ottawa, lors du colloque annuel du réseau national Fluxnet-Canada.

Avec les innombrables perturbations liées aux changements climatiques, il était urgent de construire, il y a quelques années, un réseau pour mieux comprendre le rôle des forêts et des tourbières canadiennes dans l’absorption et l’émission de CO2. L’approche développée par Fluxnet consistait à mesurer les échanges, les flux de carbone entre l’atmosphère et les forêts grâce aux tours météorologiques. Celles-ci sont munies de plusieurs appareils qui enregistrent des données sur les échanges de carbone, d’eau et d’énergie. Ensuite, des données climatiques, fournies par le Service météorologique du Canada, permettaient d’extrapoler et de cartographier les résultats obtenus vers des modèles d’échange aux niveaux régional et national.

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Avec le PCC, les chercheurs combineront les modèles de flux de carbone aux mesures des concentrations de gaz à effet de serre (GES) relevées par le Service météorologique du Canada. « On pourrait, par exemple, mesurer les concentrations des GES à Alert, à l’extrême nord de la Colombie-Britannique et celles à Montréal, quelques jours plus tard. S’il y a une augmentation des concentrations des GES dans l’air s’étant déplacé jusqu’à Montréal, nous savons qu’il existe une source de GES quelque part entre les deux », explique Hank Margolis. « La mesure des distributions des concentrations atmosphériques de ces gaz, combinées aux distributions des vents, permet d'inférer le bilan atmosphérique », résume René Laprise, directeur du Centre pour l'étude et la simulation du climat à l'échelle régionale (ESCER) et co-auteur du 4e Rapport d'évaluation du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Un nouveau réseau global

Le mouvement de modélisation des flux de carbone, d’eau et d’énergie terrestre est mondial. « Ça existait depuis quelques années en Europe et aux États-Unis », rappelle Hank Margolis. « Nous avons profité de l’expérience acquise ailleurs dans le monde pour bâtir le meilleur réseau au monde et nous avons réussi ! » La revue scientifique Agricultural and Forest Meteorology consacrait son numéro de décembre dernier aux résultats obtenus par Fluxnet.

« Fluxnet a obtenu les mesures parmi les plus exhaustives au monde, avec les meilleurs instruments disponibles », confirme Yves Prairie, professeur à l’UQAM et spécialiste du cycle du carbone. Comme il le souligne, le budget du carbone canadien reste incertain, malgré les efforts déployés ces dernières années. « Il faudrait mesurer les flux en continu pendant 19 ans pour déterminer avec certitude les puits et les sources », explique-t-il. Une initiative qui n’a jamais été entreprise sur toute la planète.

De plus, le rôle des lacs commence à peine à être considéré dans les calculs, les réseaux se consacrant à l’étude du cycle du carbone étant, pour des raisons méthodologiques, traditionnellement éloignés des plans d’eau. « On croyait que de laisser les lacs de côté ne changerait pas trop le bilan, comme ils ne couvrent que 2 ou 3 % du territoire, contre souvent plus de 50 % pour les écosystèmes forestiers », explique Yves Prairie. Une étude récente du limnologiste et de ses collaborateurs internationaux, sous presse dans la revue Ecosytems, contredit cette croyance et confirme que les lacs et les rivières ont un rôle géochimique planétaire. Un bilan se chiffrant à plus d’une gigatonne de CO2 par année.

« Comme chercheurs, nous pouvons fournir aux décideurs des informations scientifiques qui expliquent quels sont les impacts potentiels des changements climatiques sur la productivité des forêts et sur leur potentiel d’utilisation pour stocker nos émissions de carbone », fait observer M. Margolis. Pour arriver à un réseau capable d’évaluer ces impacts, Fluxnet a réuni 14 millions de dollars de subventions et plus de 45 chercheurs et 80 étudiants, provenant de 15 universités et de 9 laboratoires gouvernementaux. Les différentes équipes se partagent les équipements météorologiques installés sur des tours dans 20 écosystèmes forestiers et 7 tourbières à travers le Canada. La Fondation canadienne de l’atmosphère a accordé au volet universitaire 4 millions de dollars pour poursuivre sous le nom de Programme canadien du carbone.

Comme les courants atmosphériques, les projets du groupe de recherche du PCC ne connaissent pas de frontières. Une équipe italo-allemande s’affaire actuellement à réunir les résultats des Canadiens et ceux des chercheurs européens, américains, chinois, japonais et africains pour dresser un portrait planétaire du cycle du carbone. « Parce que le climat change, c’est essentiel de maintenir un réseau qui prend des données en continu sur de longues périodes » avance M. Margolis.

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