Il y a 65 années de cela, dans un lac lointain, très lointain… un vaisseau de guerre incroyable prenait forme dans l’ouest du Canada. Nom de code : Habbakuk. Son principe : un porte-avion tout de glace vêtu.

Il ne dépassa pas le stade de projet mais des reliques en subsistent encore au fond du lac Patricia, en Alberta (sur la photo). Des scientifiques et des archéologues sous-marins spécialistes du sujet ont plongé au cœur du secret de ce projet qui ne laisse pas de glace.

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1942. La guerre fait rage. Pour contrer la stratégie militaire allemande, les Alliés étudient tous les moyens possibles de riposter avec force. Tous ? Oui, tous. Même la construction d’un « navire iceberg », voué à ravitailler les avions et contrecarrer les sous-marins ennemis.

Cette idée folle, nous la devons à Lord Mountbatten, dont le conseiller scientifique avait découvert l’extrême résistance de l’assortiment de copeaux de bois et de glace, baptisé Pykrete. L’idée finit par naviguer jusqu’au bureau de Winston Churchill. Le feu vert est donné pour la construction d’un prototype sur le territoire canadien occidental, loin du front et des soupçons.

C’est dans les profondeurs du lac Patricia, en Alberta, que repose actuellement la relique du projet Habbakuk. Plusieurs expérimentations scientifiques avaient été effectuées sur les lacs Louise et Beauvert, au Saskatchewan, dans le Manitoba, et même à Montréal. La carcasse arbore un système de réfrigération, prévu pour maintenir le navire d’un seul bloc.

Comment un porte-avion de glace aurait-il pu résister à une batterie de feu ? Susan Langley, spécialiste en archéologie subaquatique a effectué de nombreuses investigations sur place. Elle livre sa réponse : « la Pykrete, mélange de pâte de bois et d’eau, provoque un renforcement macro cristallin de la glace. Cela signifie qu’un élément microscopique se trouve renforcé par l’accolement d’un élément plus large. Il ne s’agit pas d’une réaction chimique, mais physique. Plusieurs tests avaient été effectués, les meilleurs résultats ayant été obtenus avec l’épicéa, à hauteur de 4 à 10%. » Cette matière composite fond lentement, tout en possédant la particularité de résister aux balles et aux explosions.

Cependant, des coûts astronomiques se profilant à l’horizon, le prototype de l’insubmersible fut abandonné. Selon Robert Grenier, archéologue et président du Comité scientifique international du patrimoine culturel subaquatique, même si le projet Habbakuk eût été mené à terme, il était voué à l’échec. « Le navire aurait été mis à mal par un milieu marin hostile : le sel ou les remous furent autant de conditions qui n’avaient pas été prises en compte lors de la construction du prototype. »

Il gît à ce jour au fond du lac Patricia, mais nul ne sait combien de temps les archéologues auront le loisir de l’observer. Susan Langley a constaté une détérioration du site depuis ses premières recherches, en 1984. « Je suis retournée voir les vestiges il y a deux ans. J’ignore si la dégradation est due à un facteur environnemental ou à un facteur humain, à savoir un milieu aquatique érosif ou la suractivité des plongeurs. » Une chose est sûre. D’ici quelques années, l’insubmersible risque de se fondre dans la nature.

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