Des amputés ayant perdu main ou bras nous apprennent qu’ils calculent encore sur les doigts du membre manquant. Que s’ils échappent leurs clés, ils ont toujours le réflexe de les rattraper avec la main perdue. D’autres enfin, privés d’un pied ou d’une jambe, rapportent même qu’au moment d’une perte d’équilibre, ils ont encore intuitivement recours au membre manquant pour se re-stabiliser.

La sensation qu’ont les amputés de leur membre disparu n’est pas du tout un phénomène imaginaire. La chose est bien réelle et plutôt la norme que l’exception, car 90 % des amputés ressentent ce phénomène et cela, très longtemps même après leur amputation.

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Qu’est-ce à dire ? Que le membre disparu, qualifié désormais de « membre fantôme », continue d’exister dans le cerveau de celui ou celle qui l’a perdu. Et où existe-t-il ? Précisément dans les zones sensorielles et motrices du cortex cérébral, qui contiennent chacune une carte où sont représentés tous les segments du corps. « Nos travaux montrent que l’activation des neurones de la zone de la main dans le cortex moteur continue à être associée à un mouvement de la main manquante », explique l’ergothérapeute Catherine Mercier, professeure à la faculté de médecine de l’Université Laval et chercheuse au CIRRIS de Québec, le Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et en intégration sociale.

Si ce n’était de la douleur intense qu’ils génèrent, les membres fantôme ne dépasseraient guère le stade de la curiosité. Or cette douleur, impossible à soulager complètement chez 50 à 80 % des amputés (qui s’en remettent alors aux analgésiques et même à la morphine) devient tellement débilitante chez certains que ses conséquences sont plus invalidantes encore que l’amputation elle-même.

Une plasticité synonyme de douleur

Catherine Mercier croit que cette douleur serait liée au phénomène de plasticité cérébrale, une réorganisation neuronale se produisant au cours des mois suivant l’amputation et qui fait en sorte que d’autres parties du corps viennent « coloniser » la zone du cortex sensori-moteur qui était jusque-là associée au membre perdu. Autrement dit, on pensait que le cerveau « récupérait » l’espace cortical laissé vacant pour améliorer d’autres fonctions, bref que cette réorganisation était normale et favorable à l’amputé.

Or, il se pourrait bien que cette réorganisation soit la cause même de la douleur. « Des études ont en effet démontré que plus cette plasticité était importante, plus la douleur était vive, souligne la docteure Mercier. D’où mon hypothèse de travail : est-ce que cette « adaptation » du cerveau – que l’on a toujours vu comme bénéfique – ne serait pas en fait une « maladaptation » cérébrale, dont le signe patent serait justement cette douleur ? »

Des traitements contre la douleur

Pour démontrer le tout, la chercheuse du CIRRIS compte utiliser, auprès d’une quinzaine d’amputés, une technologie appelée Stimulation magnétique transcrânienne (SMT). Cette technologie permet d’activer de façon artificielle les neurones du cortex moteur et de mettre en mouvement le membre fantôme. Après un certain nombre d’opérations, il est alors possible de dresser une carte de la réorganisation cérébrale qui a eu lieu et, suivant l’hypothèse, de constater si l’ampleur de la réorganisation corrèle bien avec l’intensité de la douleur communiquée par le patient.

Se fondant sur cette réalité, il sera alors possible de se tourner vers certaines méthodes expérimentales de traitement de la douleur, en cours de développement.

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