Depuis 10 ans, les journalistes couvrant Internet ont chaque fois été très fiers de signaler le premier webmestre poursuivi pour libel, puis le premier cyber-journaliste poursuivi pour libel, puis le premier blogueur poursuivi pour libel... Voici le tour des scientifiques : le premier scientifique blogueur poursuivi pour libel.

Que « l’honneur » en incombe à P. Z. Myers n’étonnera pas ses lecteurs : ce professeur de biologie à l’Université du Minnesota est devenu, avec son blogue Pharyngula, le scientifique blogueur le plus populaire du monde anglophone, justement parce qu’il n’a jamais mâché ses mots contre les créationnistes. Mais que la poursuite provienne d’un auteur dont le livre a été critiqué, et qui n’a pas aimé la critique, voilà qui étonne quelque peu...

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Stuart Pivar, l’auteur de Lifecode, un ouvrage de 600 pages abondamment illustré, a déposé sa poursuite le 16 août devant la Cour de district de New York; il y reproche à P. Z. Myers, entre autres choses, l’usage du terme « crackpot ».

Lifecode consiste en une longue description d’une variante, propre à l’auteur, de la théorie créationniste : il s'agit d'un modèle de développement qui va de la forme du torus (pensez à un beignet) jusqu’aux créatures vivantes actuelles, et son livre contient à titre de « démonstration » une série d’illustrations. Dans sa deuxième critique, publiée le 17 juillet, Myers y va d’une critique élaborée du modèle en question : « ceci n’est pas une théorie scientifique, et ce n’est même pas une énumération de preuves; c’est un mélange de gribouillages (...) Nous savons déjà que la segmentation (chez un être vivant) ne se forme pas en réponse aux distorsions dans un tube. A l’état primitif, c’est par une division séquentielle de nouveaux segments à partir d’une masse indifférenciée (...) Les gribouillages de ce livre n’ont absolument aucune ressemblance avec quoi que ce soit qui se produise chez de vrais êtres vivants ». Ce n’est que dans l’avant-dernier paragraphe de l’article précédent, le 12 juillet, qu’apparaissait l’adjectif « crackpottery ».

La blogosphère scientifique s’est emparée de l’histoire, et certains font visiblement de grands efforts pour être à leur tour poursuivis : « Un crackpot poursuit un renommé blogueur pour l’avoir traité de crackpot », titre par exemple William K. Wolfrum. « Un imbécile poursuit P. Z. Myers », ajoute l’éditrice et auteure Teresa Nielsen Hayden. Il y en a vraiment qui cherchent le trouble...

Toutefois, au-delà de l’anecdote, cette poursuite s’inscrit dans une tendance bien réelle, celle des SLAPP (Specific Lawsuits Against Public Participation). Le modèle-type étant un gros pollueur qui dépose une poursuite pour libel de plusieurs millions de dollars contre un groupe de citoyen ou un organisme environnemental désargenté. La compagnie a peu de chances de gagner, mais la lenteur des procédures judiciaires peut finir par obliger les vis-à-vis à cesser d’écrire contre la compagnie, en échange d’une entente hors cour. Le blogueur du Scientific American souligne dans cet esprit que Stuart Pivar n’est pas un simple auteur, c’est un riche homme d’affaires qui, depuis 1986, a déposé des poursuites à 25 reprises.

----- Ajout - 30 août 2007-----

Stuart Pivar a retiré sa plainte, a annoncé celui qu'il poursuivait, le blogueur P. Z. Myers, lui qui se tenait coi depuis le début. Les blogueurs qui avaient pris position pour lui en ressortent convaincus qu'ils ont eu un rôle déterminant, tandis que le blogue collectif The Daily Kos, dont la popularité est encore plus grande que celle de P. Z. Myers, tape à son tour sur l'infortuné M. Pivar...

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