BOSTON - Où investir en science? À quel moment? Quelles priorités? Ces décisions se prennent dans des comités d’experts et il y a longtemps que des militants réclament que le public puisse y prendre part. Mais même les plus favorables à cette démocratisation de la science se montrent très critiques : « balkanisation de la science », « trivialisation de la science », les qualificatifs ne sont pas tendres, au milieu d’un groupe de gens pourtant gagnés d’avance.

Un exemple qui, souhaitent ces militants, pourrait faire école : la décision de la Californie d’investir dans les cellules-souches, à l’encontre de la volonté du Président George W. Bush. Ce virage fut le résultat d’un processus typiquement californien, où la démocratie directe a court-circuité le processus politique normal.

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Explication : en 2002, en réaction au moratoire imposé par la Maison-Blanche sur le financement public de la recherche sur les cellules-souches, une coalition se met en place en Californie : puisque le gouvernement fédéral ne veut pas financer, est-ce que la Californie pourrait le faire? Il se trouve que la Californie est un de ces États où n’importe qui, pourvu qu’il récolte un nombre suffisant de signatures, peut exiger que sa proposition fasse l’objet d’un référendum. C’est ainsi qu’aux élections de novembre 2004, les électeurs californiens retrouvent, sur leur bulletin de vote, la proposition 71 : êtes-vous favorable à un financement, par l’État de Californie, de la recherche sur les cellules-souches?

« Il y a eu une excellente campagne de marketing », a noté Donna Gerardi Riordan, du Conseil californien de la science et de la technologie, au cours d’un atelier présenté dans le cadre du congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), le 15 février : les partisans du « Oui », dit-elle, ont su marier les arguments bien vus du public (traitements possibles contre le Parkinson, la fibrose cystique, etc.) et les arguments économiques (investissements dans la région). Mieux encore, la proposition a reçu l’appui de vedettes d’Hollywood et du gouverneur Arnold Schwarzenegger. Résultat, elle fut approuvée par 59% des voix, au grand déplaisir de la Maison-Blanche.

Un succès pour la démocratie? C’est ce que laisse supposer le portrait enthousiaste tracé par Mme Riordan, à qui on doit l’euphémisme de la semaine : « la démocratie directe n’est pas une façon traditionnelle de financer la science ».

Mais le reste de l’atelier, intitulé « We the People », apportait quelques bémols inattendus.

Tout d’abord le premier résultat de ce référendum, ce fut la création de l’Institut californien de médecine régénérative. Une grosse affaire : un budget prévu de 3 milliards sur 10 ans, récolté en partie par la vente d’obligations. Mais si ce genre d’initiative issue « du peuple » devait se répéter, n’y aurait-il pas un risque de « construire des institutions redondantes »? Autrement dit, un pays pourrait avoir déjà une institution majeure dans un domaine, mais une province ou un comté, pour des raisons purement locales, se mettrait à lui construire un concurrent.

Le fait que le public prenne ainsi en main un dossier crée des attentes démesurées, ajoute Peter McIntyre, de l’Université Texas A&M, qui fut l’artisan de la venue d’un accélérateur de particules au Texas dans les années 1980 : on espère le médicament-miracle, la source d’énergie illimitée, etc. « Utiliser la démocratie pour la science, c’est la trivialiser », renchérit Daniel Sarewitz, de l’Université d’État de l’Arizona, un spécialiste des relations entre science et politique.

D’un autre côté, n’est-ce pas noircir trop le portrait, a demandé un participant dans la salle? « On entretient ce mythe selon lequel la science ne doit pas se salir les mains avec la politique. Mais c’est inévitable : la science est impliquée dans la politique, que ça nous plaise ou non. »

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