Alors que l’on s’apprête à célébrer la Journée internationale des personnes âgées, plus personne ne désire porter cette étiquette. La vieillesse serait-elle devenue le nouveau tabou?

Pour le savoir, l’Agence Science-Presse (ASP) a questionné l’auteur du livre Les nouvelles frontières de l’âge, Richard Lefrançois. L’actuel professeur associé à l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke et nouveau retraité est sociologue de formation. Il a œuvré à l’Université de Sherbrooke, au département de service social et de psychologie et a été le coordonnateur de l’étude longitudinale québécoise sur le vieillissemen t.

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ASP — À quel âge devient-on vieux?

Richard Lefrançois — C’est une question qui a beaucoup d’acuité. Beaucoup de personnes âgées sont en bonne santé et prennent leur retraite tôt. La vieille norme de 65 ans ne tient plus, ni les marqueurs traditionnels de l’âge (santé, engagement social, etc.). Les frontières de l’âge sont repoussées, comme le dit mon livre. L’augmentation de l’espérance de vie vient bouleverser la notion de vieillissement. L’écart entre l’espérance de vie et la longévité maximale (122 ans pour Jeanne Calment) rétrécit.

ASP — Parle-t-on encore de 3e, 4e ou 5e âge?

RL — Ce sont des étiquettes que les gérontologues critiquent. Il vaut mieux parler de « personne en développement ». À 50-65 ans, c’est la pré-vieillesse, une période où l’on est encore en santé, alors on parlera de seniors ou de jeunes-vieux. Après, entre 65 et 79 ans, il s’agit de la petite vieillesse où la santé est encore assez bonne pour que l’on fasse du bénévolat ou reste actif. Puis, à 80 ans et plus, arrive la grande vieillesse. La personne avance en âge et son terrain social se réduit : moins de relations et d’amis, enfants et petits-enfants éloignés. C’est là où la vulnérabilité s’accentue et la maladie apparaît.

ASP — Pouvez-vous me décrire l'homo senectus — l’homme vieillissant — de votre livre?

RL — L’homo senectus marque le changement dans le poids démographique des seniors et cela se manifeste même dans les pays en développement. C’est une nouvelle figure historique dans notre civilisation préoccupée par l’âge et la jeunesse. De nombreuses recherches tentent ainsi de prolonger la vie et il existe même un marché très lucratif du maquillage — pour masquer l’emprise du temps sur la personne —, mais aussi une glorification de la longévité exceptionnelle. Après l’homo œconomicus des années 80 marqués par une période de prospérité, puis l’apparition de l’homo psychologus ou l’homme préoccupé de sa santé mentale, voilà la nouvelle réalité de l’homme vieillissant – une nouvelle strate qui ne remplace par les autres, mais qui s’ajoute. Il fait émerger de grands débats, d’après moi mal polarisés, autour de la personne vieillissante et des sociétés vieillissantes. Cela va d’un pôle négatif marqué de « gérontophobie » (peur des vieux) et de « gérascophobie » (peur de vieillir) à une vision angélique. Il faut rester vigilant devant les préjugés et tenter de voir ça sereinement.

ASP — Lorsqu'on parle de vieillissement, qu'est-ce qui a changé?

RL — Les personnes qui avancent en âge veulent garder leur autonomie. Elles désirent rester actives et même présentes sur le marché du travail. Elles revendiquent des droits, rendent des services tant à leurs enfants qu’à leurs parents encore vivants. La solidarité intergénérationnelle demeure. Mais ces aînés ne partagent pas toujours les mêmes valeurs que les plus jeunes et il y a beaucoup d’incompréhension entre les grands-parents et les petits-enfants. Habillement, violence, décrochage scolaire et même technologie, ils se sentent dépassés. Internet, boîtes vocales, souvent les personnes âgées ne franchissent pas l’étape du saut technologique, mais un rattrapage est toujours possible.

ASP — Pouvez-vous nous parler des mythes qui entourent la vieillesse?

RL — L’un des principaux mythes est que la personne âgée vit uniquement des pertes. La vieillesse n’est pas synonyme de dégradation, il y a aussi des gains. Il ne faut pas voir que le versant négatif. C’est une période paradoxale. Plus la personne avance en âge, plus elle devient vulnérable, fragile à la maladie et dépendante et en même temps enrichie d’expériences de vie. L’objectif et de minimiser les pertes et maximiser les gains.

Un autre mythe est de voir les personnes âgées comme dépassées : « trop tard pour les projets », « impossible de s’épanouir à cet âge ». C’est évidemment faux. Et s’il est important que les aînés transmettent leurs valeurs à la jeune génération, il est tout aussi important que les jeunes partagent les leurs avec les aînés. Même vieux, on peut apprendre. On voit aussi souvent ces personnes comme recevant de l’aide, mais il y a toute une génération sandwich qui prend à la fois soin des enfants et des parents. Il importe de lutter contre l’âgisme, les stéréotypes et les images infantilisantes des personnes vieillissantes, très présentes même au sein des établissements de soins.

ASP — Quelle sera la vie des « vieux » baby-boomers qui commencent à prendre leur retraite?

RL — Cette génération nombreuse qui prend sa retraite n’est pas suivie par une génération aussi nombreuse. Qui va s’occuper d’eux? Il va y avoir des arrangements nécessaires, ce que j’appelle des accommodements raisonnables. Cela va entraîner des changements, dont certains sont déjà présents. Ainsi, les gens vont travailler plus longtemps, auront des enfants plus tard, retourneront aux études à 70 ans... Ceux qui sont scolarisés et à l’aise vont en profiter, mais il y a aussi une précarisation des ainés : immigrants, itinérants vieillissants, etc. Des vieillesses oubliées… je suis en train d’écrire un ouvrage là-dessus.

ASP — Que nous a appris la récente Étude longitudinale québécoise sur le vieillissement?

RL — Cette étude s’est penchée sur les conditions de vie de 800 personnes de la région de Sherbrooke et de Trois-Rivières. Elle a duré 7 ans et cherchait à dresser le portrait de trois étapes de vie importantes du vieillissement : la retraite et les premières épreuves, le veuvage et les premiers deuils, la grande vieillesse et les incapacités. On a publié différents articles et réalisé des conférences sur le sujet. Cela m’a permis d’écrire mon essai sur le vieillissement.

ASP — Quels sont les principaux enjeux des sociétés vieillissantes?

RL — Il faut veiller à ce que notre système de santé et de protection sociale ne soit pas menacé par les difficultés et le poids démographique des aînés. Il faut espérer que la technologie médicale sera capable de ralentir la prise en charge et de maintenir les personnes autonomes et à domicile le plus longtemps possible. Ma préoccupation personnelle se situe au niveau de la société. Je la rêve conviviale, respectueuse et inclusive pour permettre aux aînés de s’épanouir et d’y contribuer le plus longtemps possible. Le contraire de la construction de ghettos de personnes âgées, comme Sun City à Phoenix (Arizona), qui séparent les générations. On a tout à gagner à vivre ensemble.

Malgré sa récente retraite, Richard Lefrançois poursuit une vie active comme professeur associé à l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke encadrant des étudiants, donnant des séminaires et des entrevues aux journalistes.

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