L’opinion publique avait dit de lui, il y a un quart de siècle, qu’il s’était fait « voler » sa découverte du virus du sida. Que la controverse américano-française qui s’en était ensuivie l’avait à jamais délogé de la course au Nobel. À 76 ans, Luc Montagnier vient d’obtenir sa récompense.

Et pas seulement lui : le public connaît moins sa collègue Françoise Barré-Sinoussi, 61 ans, qui serait celle-là même qui a isolé ce virus en 1983. Alors chercheure depuis huit ans à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale sur les relations rétrovirus-cancers, elle est recrutée par Montagnier pour travailler sur « une nouvelle infection » alors inconnue. En compagnie de Jean-Claude Chermann, ils isolent le 20 janvier 1983 un virus qu’ils appellent LAV (Lymphadenopathy associated virus). Les résultats paraissent dans Science en mai 1983.

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Dès janvier toutefois, comme il faut agir vite —le sida est devenu une hantise mondiale et on ignore encore tout de son mode de transmission— l’équipe française envoie à ses collègues américains, dirigés par le célèbre Robert Gallo, des échantillons. Les Américains s’empêtrent alors sur une fausse piste et croient avoir eux aussi isolé le virus du sida, qu’ils baptisent à l’automne 1983, HTLV-III. Il s’avèrera plus tard qu’il s’agit du même virus, provenant de la même personne, initialement isolé par les Français.

Mais le mal est fait : les Américains travaillent à minimiser l’apport des Français, les médias se mettent de la partie... Il s’ensuit une polémique politique entre les deux pays, où la dimension scientifique prend le dessous. Le tout s’achève en décembre 1987 par une entente politique sur les (lucratives) redevances sur les tests de dépistage, partagées à parts égales entre les deux « découvreurs ».

Dans son communiqué publié lundi matin, le Comité Nobel ne nomme nulle part Robert Gallo. Rejoint par l’agence AP, Gallo s’est dit « déçu » mais a ajouté que les trois scientifiques méritaient cette récompense.

Des virus responsables de cancers?

Le troisième membre du trio gagnant du Nobel de médecine 2008, l’Allemand Harald zur Hausen, 72 ans, n’a rien à voir avec le VIH, le virus responsable du sida, mais son choix souligne le contexte scientifique plus large dans lequel cette découverte s’était faite : la recherche d’un lien entre des virus et certains cancers.

Dans les années 1970, de nombreux laboratoires à travers le monde s’étaient lancés sur la piste des rétrovirus : des « virus à ARN », ainsi nommés parce qu’ils peuvent transformer leur code génétique de telle façon qu’ils s’infiltrent plus facilement dans les cellules. C’est alors à une course frénétique au cancer qu’on assiste entre les laboratoires, frénésie qui n’est pas étrangère à la controverse Montagnier-Gallo : Gallo accumule les succès dans les années 1970, Montagnier, fondateur du département de virologie à l’Institut Pasteur en 1972, travaille dans l’ombre. Gallo, lit-on sur cette page d’histoire, symbolise l’hégémonie américaine, que nul ne songerait à ravir.

Or, pendant ce temps, le Dr zur Hausen suit lui aussi la piste virus-cancer. Dans les années 1970, ce chercheur en virologie se concentre sur le cancer du col de l’utérus —le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes— émettant l’hypothèse qu’il est causé par un virus proche de celui déclenchant les verrues —à l’encontre du dogme de l’époque, écrit le Comité Nobel.

En 1983, il isole deux formes de virus du papillome humain (VPH) à l’origine du cancer du col de l’utérus. De tous les virus transmis sexuellement, c’est le plus fréquent. De cela découleront une meilleure connaissance des mécanismes de cette infection, des tests de dépistage et des vaccins.

C’est de cette découverte que découle directement aujourd’hui, la recommandation des médecins de vacciner systématiquement les pré-adolescentes contre ces virus (voir ce texte), avant qu’elles n’aient eu leurs premières relations sexuelles.

VIH et VPH: deux acronymes qui, pour longtemps encore, resteront une illustration des carrefours, pas toujours réjouissants, entre politique, société et science.

Pascal Lapointe

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