Si nous n’avions pas eu un cou, nous n’aurions pas d’oreilles. Ce qui ne serait pas très pratique, on en conviendra, pour appuyer sa tête sur le fauteuil en écoutant de la musique...

Chaînon manquant. Lorsque nos ancêtres sont sortis de l’eau, il y a très longtemps, ils y ont gagné des pattes, comme chacun sait, mais ces pattes n’ont pas été le seul changement —on ne fait pas pousser des os comme ceux-là, en « seulement » quelques dizaines de millions d’années, sans bouleverser le reste du corps. Y compris les petits os de l’oreille.

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Est-ce à dire que l’origine de nos oreilles est liée à l’origine de nos pattes? C’est en partie ce que suggère un fossile canadien qui a déjà fait parler de lui en 2006, le Tiktaalik —une bestiole semi-aquatique de 370 à 375 millions d’années déjà qualifiée, lors de sa découverte, de chaînon manquant, parce qu’elle possédait des caractéristiques des créatures à quatre pattes qui allaient naître bien plus tard (voir ce texte).

Son crâne était celui d’un poisson, mais il avait déjà un début de cou, ce qui le rapprochait des quadrupèdes. Cela signifie que sa tête était déjà un peu plus mobile que celle des poissons « normaux », un avantage lorsqu’on se met à marcher plutôt qu’à nager.

C’est que chez les poissons, il n’y a pas de cou pour séparer la tête des épaules, mais une série d’os. L’un d’eux, en forme de boomerang, s’appelle l’hyomandibulaire : certains des muscles qui y sont attachés aident les poissons à utiliser leurs branchies. Il est relié aux épaules par un autre os, l’operculum; c’est ce dernier qui est absent chez le Tiktaalik. L’hyomandibulaire, ainsi « libéré » des épaules, a pu évoluer vers d’autres rôles —et c’est cela qui nous conduit à l’oreille.

L’équipe dirigée par Jason Downs, de l’Académie des sciences naturelles de Philadelphie, qui publie le 16 octobre dans Nature, avait déjà publié sur le Tiktaalik en 2006 (plusieurs spéciments ont été découverts en 2004), mais ne s’était alors concentrée que sur les os des pattes. C'est qu'on parle tout de même ici d’une grosse bête, d’environ trois mètres de long. Cela nécessite un long et délicat travail pour dégager tous les os de leur gangue de pierre, un travail qui s’est étendu sur six étés sur l’île Ellesmere, dans l’Arctique canadien.

Et c’est tout naturellement que les chercheurs ont commencé par étudier les pattes, puisqu’elles constituent depuis des générations le premier centre d’intérêt dès qu’on pense à cette transition entre la mer et la terre. Mais la nouvelle étude rappelle que les pattes n’ont pas été les seules à évoluer, en se concentrant, cette fois, sur le crâne. Ce faisant, elle confirme des travaux menés par d’autres chercheurs : la « transformation » de l’hyomandibulaire en un petit os capable de transmettre les vibrations de l’air —le son— a en effet été décrite dans le passé, grâce à d’autres fossiles.

Par ailleurs, l’âge du Tiktaalik rappelle, si besoin était, combien l’évolution n’est pas un changement aussi subit que le laissent croire les illustrations des livres de notre enfance. L’hyomandibulaire a commencé à devenir le stapes (ou étrier) de la future oreille interne il y a 370 millions d’années, mais il y a d’autres os dans notre oreille —l’enclume et le marteau— qui transmettent eux aussi les vibrations et qui ont évolué, eux, il y a « seulement » 220 millions d’années. Eux, à partir d’os situés au bas de la mâchoire —eux aussi « libérés de leurs autres tâches », illustre le journaliste Carl Zimmer.

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