Qu’est-ce qui a donné à l’Homo sapiens —nous— un avantage déterminant sur les Néandertaliens? Bien des causes ont été évoquées depuis 150 ans, mais les fruits de mer et les choux de bruxelles n’étaient pas au menu.

La bouffe, c’est la clef. Poursuivant le décodage ardu de l’ADN et des protéines de nos cousins disparus il y a 27 000 ans, des biologistes ont découvert des indices comme quoi les Néandertaliens n’étaient pas attirés par certains aliments que nous prenons pour acquis, peut-être même incapables de les digérer. En d’autres termes, le régime alimentaire des Néandertaliens était probablement beaucoup moins diversifié, ce qui expliquerait que nous soyons là, et qu’eux n’y soient plus.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Ce n’est pas la première fois que des chercheurs associent l’alimentation à l’évolution qui a conduit jusqu’à nous. Par exemple, il y a maintenant tout un courant de la recherche, aux frontières de la chimie et de la biologie, qui vise à démontrer que le fait de manger de la viande cuite aurait été un moment déterminant, parce qu’il a fourni aux organismes de nos lointains ancêtres un surplus d’énergie qui a permis la croissance du cerveau.

Mais ici, c’est de quelque chose de plus compliqué dont on parle. Des signatures chimiques dans le collagène des os de 13 Néandertaliens morts il y a 40 000 ans. Il se trouve que les atomes des os conservent une signature de ce que nous avons mangé. Une signature générale : pas assez pour distinguer un steak au poivre d’un steak haché, mais assez pour distinguer un régime à base de fruits de mer (beaucoup de carbone-13) ou de viande (azote-15), par exemple. En comparant ces niveaux avec ceux d’animaux trouvés à proximité, les chercheurs peuvent en arriver à déduire quel était le menu approximatif.

Et c’est ainsi que Michael Richards, biologiste anthropologue à l’Institut Max-Planck d’évolution, en Allemagne, et son collègue Erik Trinkaus, de l’Université Washington à Saint-Louis, en concluent que les Néandertaliens vivant en Europe récoltaient le gros de leurs protéines en mangeant des herbivores —comme le mammouth— alors que les humains de la même époque optaient pour davantage de mammifères marins et de fruits de mer.

Mais ce n’est pas juste une question de choix : peut-être que les Néandertaliens ne pouvaient carrément pas goûter ou distinguer certains aliments, ajoute une seconde étude. C’est elle qui parle de choux de bruxelles. Les Néandertaliens, lit-on dans les Biology Letters , possédaient une mutation d’un gène qui aurait rendu certains d’entre eux incapables de distinguer certaines saveurs —et du coup, enclins à se détourner de plantes riches en vitamines que les humains modernes, eux, ont appris à apprécier.

Incidemment, 25% des humains modernes sont eux aussi insensibles à ces saveurs.

Les critiques ont déjà commencé à se faire entendre : pour la première étude, disent-ils, 13 ossements c’est trop peu; pour la deuxième étude, le gène en question serait apparu il y a plus d’un demi-million d’années : alors pourquoi les Néandertaliens auraient-ils été plus nombreux que nous à en être dépourvus?

Mais ce vers quoi ces indices pointent, c’est un Homo sapiens plus flexible. « Si les humains modernes chassaient beaucoup, comme les Néandertaliens, alors ils se concurrençaient et appauvrissaient les ressources », explique le biologiste anthropologue allemand Hervé Bocherens. Or, lorsque les produits de la chasse se faisaient trop rares, l’Homo sapiens pouvait se rabattre sur autre chose, ce que son lointain cousin n’était peut-être pas capable de faire.

Pascal Lapointe

Je donne