L’eau est une ressource naturelle incontournable pour tous les êtres vivants. Enjeu planétaire mal réparti, pollué et commercialisé, ce patrimoine serait en péril. C’est ce qu’affirme Maude Barlow, la présidente nationale du Conseil des Canadiens et jusqu’à tout récemment, conseillère principale sur l’eau auprès du président de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Agence Science-Presse (ASP) – En 2002, vous aviez écrit un premier livre sur la crise de l’eau intitulé L’or bleu. Pourquoi en écrire un autre aujourd’hui?

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Maude Barlow (MB) — Parce que la crise de l’eau s’intensifie chaque jour. Parce que je désirais particulièrement parler de l’impact de cette crise sur les changements climatiques. Et parce que je voulais aussi informer les gens sur le mouvement mondial pour la justice en matière de l’eau et de sa préservation. C’est d’ailleurs l’élément central de mon nouveau livre : la revendication d’un pacte mondial de l’eau. L’eau est devenue, pour beaucoup, un bien marchand. Il faut lutter pour que l’eau redevienne un patrimoine commun, que l’on partage et que l’on préserve.

ASP – À l’échelle mondiale, ce dossier de l’eau avance-t-il ou au contraire, recule-t-il?

MB — Les deux. Du côté de la protection, il faut saluer de nombreuses initiatives, comme celle de l’Uruguay qui a approuvé une réforme constitutionnelle définissant l’eau comme bien public. Il y a aussi la communauté californienne qui se bat contre la privatisation de l’eau. Mais le problème, et c’est là que ça recule, reste que la demande, la pression exercée sur cette ressource, reste supérieure à l’offre. La question aujourd'hui est : réussirons-nous à être assez rapides pour éveiller la conscience des gens à la préservation de l’eau avant que les dommages ne soient trop grands pour cette ressource essentielle?

ASP – Quel est le rôle du Canada et du Québec dans ce dossier? Sommes-nous sur la bonne voie?

MB — Nous nous trompons sur l’abondance canadienne en matière d’eau et c’est la raison pour laquelle, nous n’avons jamais fait très attention à cette ressource. Nous l’utilisons sans compter, la polluons… Notre législation est vieille de 50 ans, il est temps d’adopter une loi qui la protègerait mieux.

Le Québec fait un petit peu mieux pour la préserver. Des coalitions sont parvenues à stopper des projets de privatisation. Mais les mêmes forces sont à l’œuvre. L’Institut économique de Montréal s’est prononcé récemment en faveur d’une commercialisation de l’eau. Il faut arrêter de croire, comme on le disait dans les années 1960 que l’eau est une ressource renouvelable à l’infini. Il faut changer notre façon de penser l’eau. Nous sommes, comme toutes les espèces vivantes, dépendants de cette ressource, de sa disponibilité et de sa qualité. Il faut y penser comme un bien commun, un patrimoine à préserver.

ASP — Existe-t-il au Canada des initiatives intéressantes?

MB – Oui, malgré tout. Par exemple la Water Watch et la coalition Eau Secours. Le Manitoba possède aussi un ministère de l’eau. Mais je reste très critique à propos des initiatives du gouvernement conservateur, comme je l’étais de celles du gouvernement libéral auparavant, qui voit l’eau comme un bien, que l’on peut vendre et commercialiser. Nous avons besoin d’une stratégie nationale pour pouvoir lutter ensemble à préserver cette ressource, car les pressions sur l’eau canadienne vont s’intensifier. Il faut aussi que le Canada appuie les efforts, au lieu de s’y opposer, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies afin de garantir le droit à l’eau pour tous.

ASP — D’où viendront les solutions à la crise de l’eau?

MB — Il y a trois crises de l’eau : le déclin des approvisionnements, l’accès inéquitable et la mainmise du secteur privé sur l’eau. Pour lutter contre cela, il faut à la fois changer nos habitudes, mais aussi être prêt à défendre notre ressource. Il faut que nous parvenions à préserver les systèmes hydriques de la planète, mais aussi trouver une solution juste à l’accès inéquitable à l’eau, et enfin, il est nécessaire d’avoir un contrôle public de la ressource. Pour cela, les gouvernements doivent veiller sur ce bien commun et doivent légiférer pour le préserver de la cupidité des compagnies privées.

ASP – Et dans ce contexte, quelle est la place du simple citoyen?

MB — Il a une place centrale. Il doit s’informer. Il lui appartient aussi de participer au mouvement mondial de défense de l’eau en passant à l’action, en signant des pétitions. À la maison, il doit poser des gestes pour la conserver et la préserver, en abandonnant l’achat d’eau embouteillée par exemple. Il doit aussi, lors des élections, parler de cette ressource avec les candidats et voter pour ceux qui se prononcent en faveur de sa préservation.

ASP — À quand l’eau « bien commun de l’humanité »?

MB — Maintenant. Le problème est que pour de nombreuses personnes, ce concept reste mal compris. Il ne s’agit pas de faire de l’argent en vendant l’eau ou d’en puiser davantage en se disant que cette ressource appartient à tous. Il s’agit de se battre pour un droit humain d’avoir tous accès à l’eau, tout en la préservant et en adoptant une gestion humaine et juste. Le temps est venu de reconnaître le droit de tous à l’eau.

Cofondatrice du Blue Planet Project, une initiative mondiale pour le droit à l’eau et auteure d’une quinzaine d’ouvrages, Maude Barlow est une activiste canadienne connue et reconnue : elle est lauréate de sept doctorats honorifiques et de nombreux autres prix, dont le Right Livelihood Award (2005) et le Prix canadien pour l’environnement (2008).

Mme Barlow donnera une conférence sur la crise de l’eau à Montréal, le 23 septembre à l’UQÀM, jumelée au lancement de son nouvel ouvrage Vers un pacte de l’eau . Elle est également l’auteure du livre L’Or bleu paru chez Boréal en 2002.

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