L’Université McGill de Montréal a pu se vanter cette semaine de compter deux Nobel parmi ses anciens étudiants. Mais tous les deux ont préféré aller ensuite aux États-Unis, et ils détiennent aujourd’hui la citoyenneté américaine. Comme s’il avait voulu enfoncer le clou dans cette plaie, un quotidien de Californie titre « Les Nobel nous rappellent pourquoi l’immigration est importante ».

Jack Szotka, co-gagnant du Nobel de médecine pour son travail sur les télomères, est un Britannique qui a grandi au Canada, a commencé ses études universitaires à McGill au début des années 1970 mais les a achevées à l’Université Cornell, dans l’État de New York. Il est aujourd’hui attaché à l’Université Harvard, et possède la double nationalité, britannique et américaine.

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Quant à Willard Boyle, co-gagnant du Nobel de physique, il est né en Nouvelle-Ecosse, a grandi au Québec et a fait toutes ses études universitaires à McGill jusqu’en 1950. Trois ans plus tard, il joint les Laboratoires Bell, au New Jersey, où il deviendra un expert mondial du laser. Il possède la double nationalité, canadienne et américaine.

Il y a même un troisième Nobel qui possède un lien avec le Québec: Vekatraman Ramakrishnan, 57 ans, co-gagnant du Nobel de chimie, est un Américain d’origine indienne. Son père a fait son doctorat à l’Université McGill au début des années 1950. Ses parents, « répondant à l’appel du pays », sont ensuite rentrés en Inde, raconte le Telegraph de Calcutta.

En soi, ces parcours sont des illustrations de la « mondialisation de la science » dans ce qu’elle a de mieux. En autant, toutefois, que ces scientifiques aient la liberté pour mener des recherches qui leur tiennent à coeur, et c’est le clou —un autre— qu’a enfoncé Willard Boyle, en entrevue mercredi au Globe and Mail de Toronto : les gestionnaires, dit-il, devraient donner assez de jeu aux scientifiques pour que ceux-ci puissent accoucher de découvertes originales. Croyez-vous, ironise-t-il, « que nous avions un plan d’affaires en tête » lorsque nous avons travaillé sur cette théorie sur la reconstitution des signaux lumineux —théorie à laquelle on doit, aujourd’hui, la photographie numérique? « Nous n’avions pas le temps pour ce genre de balivernes. »

Des groupes canadiens qui s’inquiètent de l’indépendance des chercheurs face à des financements qu’ils jugent de plus en plus contrôlants, ont saisi la balle au vol. « Où sont les futurs Laboratoires Bell », demande Arvind Gupta, de l’Université de Colombie-Britannique, en référence à ce lieu où Williard Boyle a travaillé jusqu’à sa retraite en 1979.

N’empêche qu’aux États-Unis aussi, on semble se poser des questions, à en juger par l’article du quotidien de Californie mentionné plus haut —le San Jose Mercury News, dans la Silicon Valley. « Pour mener les recherches et les découvertes dont nous avons besoin, nous sommes de plus en plus dépendants des cerveaux d’outre-mer qui migrent ici ».

La prime que recevra avec son Nobel la Californienne d’adoption Elizabeth Blackburn —Australienne d’origine— compensera... pour la réduction de 5% de sa paye que vient de lui imposer une Californie profondément endettée. Symbole, croit le chroniqueur, que « l’avantage compétitif » des États-Unis est en train de leur glisser entre les doigts.

Mais pas nécessairement face au Canada... « Ce n’est pas par accident, commente The Gazette en éditorial, que nos scientifiques s’en vont au Sud trouver l’appui et la liberté pour faire de la vraie recherche. Autant nous voudrions proclamer que ces Nobel [canadiens] sont nôtres, autant il est loin d’être clair qu’ils auraient pu réussir en-dehors des États-Unis. »

Pascal Lapointe

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