L’un des instituts de recherche canadiens les plus connus à l’extérieur du Canada a-t-il les moyens de ses ambitions? Après 10 ans, la question hante de plus en plus. Mais en attendant, il se démarque pour la qualité de son travail de vulgarisation...

« L’Institut des causes perdues », appelle-t-on, « dans certains cercles », l’Institut Périmètre de Waterloo, en Ontario, selon le physicien théorique Joao Magueijo, qui a publié dans Nature un compte-rendu —très critique— des mémoires du directeur-fondateur de l’Institut, Howard Burton.

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Né en 1999, l’Institut Périmètre est un centre de recherche en physique théorique, voué à percer les mystères de l’Univers. Il est né d’un don phénomémal de 100 millions$ de celui à qui on doit les Blackberry, l’ingénieur canadien Mike Lazaridis. La compagnie qui l’a rendu milliardaire, Research in Motion, est basée à Waterloo, une ville de 100 000 habitants située à une centaine de kilomètres de Toronto.

Des milliardaires qui donnent des sous pour la recherche, ce n’est pas rare. Un don pour créer un institut de recherche à partir de zéro, c’est déjà moins banal. Et l’Institut se définit depuis 10 ans comme un havre pour la recherche libre, purement théorique, sans obligation de retombées pratiques.

Sur papier, ça semble fonctionner : on y trouve la plus grande concentration de post-doctorats en physique au monde (44), le nombre de professeurs à temps plein doit bientôt doubler, de 12 à 25; en comparaison, le prestigieux Institut d’études avancées de la non moins prestigieuse Université Princeton n’a que cinq professeurs à temps plein, sans compter les multiples chercheurs invités. Parallèlement, un budget supplémentaire de 30 millions$, provenant en partie des gouvernements canadien et ontarien, sert actuellement à doubler la surface disponible. Le nouvel espace s’appellera l’Aile Stephen Hawking, et le célèbre physicien a annoncé le 19 octobre, lors des célébrations du 10e anniversaire, qu’il y séjournerait un mois, l’été prochain (c’était à l’origine prévu pour cet été).

Mais dans cet espace éthéré si particulier à la physique théorique, est-ce que ça fonctionne? « Les meilleurs jours de ce havre de libres penseurs sont ceux où il était encore un institut théorique », ironise Joao Magueijo. Dès qu’il a commencé à embaucher, juge-t-il, l’Institut aurait commencé à s’éparpiller. Faute de lignes directrices, chaque chercheur tire la couverture de son côté.

Des propos qui pourraient être ceux d’un témoin frustré (Magueijo a été chercheur invité au Périmètre), s’ils n’étaient corroborés par d’autres. Tout en témoignant de son grand enthousiasme pour cette concentration de cerveaux unique au monde, la physicienne allemande Sabine Hossenfelder décrit le difficile équilibre auquel est inévitablement confrontée la physique purement théorique : un difficile équilibre entre, d’un côté, la poursuite de sujets « risqués et bizarres » avec un risque de retombées nulles, et de l’autre côté, la recherche sur des sujets plus conventionnels et plus sûrs. « PI était conçu pour mettre l’emphase sur le premier aspect, mais la tendance dont j’ai été témoin » conduit vers le deuxième.

« Périmétre est devenu aussi auto-suffisant et peu inclusif que la plupart des autres instituts », reconnaît son collègue Peter Jackson. Un glissement vers une tour d’ivoire, risque Phil Warnell. Sa mission « semble désormais davantage d’accroître le prestige que de soutenir des individus autonomes qui ne cadrent pas dans les programmes de recherche existants », ajoute Erik Anderson. S’ajoute à cela une guerre, qui échappe complètement au commun des mortels, entre les partisans de la théorie des super-cordes et les autres.

Celui qui fut le premier directeur et fondateur, Howard Burton, et qui a publié plus tôt cette année ses mémoires, First Principles, était virtuellement inconnu de la communauté scientifique en 1999. Fraîchement diplômé de l’Université de Waterloo, il a été recruté par Lazaridis et on lui doit la majeure partie du travail de recrutement de chercheurs et de collecte de fonds, jusqu’à son départ en 2007, « dans des circonstances mystérieuses ». Pour Magueijo, la méconnaissance qu’avait Burton du milieu de la recherche lui aurait valu d’être « exploité par des opportunistes qui utilisaient Périmètre comme tremplin pour une carrière aux États-Unis ».

En comparaison, le nouveau directeur, Neil Turok, 41 ans, n’a pas un long parcours non plus, mais il arrive de l’Université Cambridge et il a à son actif la création de l’Institut africain des sciences mathématiques dans son pays natal, l’Afrique du Sud. Ce qui compte, sachant combien l’Institut Périmètre fait de la diffusion vers le grand public une partie importante de sa tâche (voir encadré). Et ce n’est pas un hasard si la première chose qu’a instituée Turok fut un programme de maîtrise destiné aux étudiants étrangers. « Même les scientifiques les plus avancés et les experts de haut niveau n’aiment rien de plus que de rencontrer des étudiants brillants », répète-t-il.

Cette dimension « extérieure » —éducation, diffusion, communication, vulgarisation— pourrait-elle être en bout de ligne ce qui distinguera Périmètre des autres centres de physique théorique de la planète? Chose certaine, si c’est au plan de la recherche qu’il doit se démarquer, s’il doit devenir le lieu d’où sortiront les percées fondamentales qu’attend désespérément la physique théorique depuis une génération, on ne le saura pas avant une autre décennie.

Pascal Lapointe

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