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(Agence Science-Presse) – Lorsque des enfants ont commencé à naître en grand nombre avec des bras ressemblant à des nageoires, le mal portait depuis très longtemps un nom obscur : phocomélie. Mais il allait rapidement avoir une cause beaucoup moins obscure : thalidomide.

Thalidomide : un médicament commercialisé pour la première fois en Allemagne en 1957, et qui aurait conduit à au moins 10 000 cas d’enfants nés avec une malformation. Dans certains cas, ce sont les jambes qui ne se développent pas chez l’embryon. Dans d’autres, les doigts émergent des épaules, mais pas les bras. L’anatomiste français Etienne Geoffroy de Saint-Hilaire avait catégorisé ce mal dès 1836.

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Lorsque des milliers de cas ont commencé à être signalé à la fin des années 1950, surtout en Europe, il n’a pas fallu beaucoup de temps aux médecins pour établir une relation de cause à effet avec les femmes qui, au début de leur grossesse, avaient pris de la thalidomide, un médicament contre les nausées.

Et pourtant, bien que la relation ait été rapidement établie, la cause profonde, elle, est restée mystérieuse. Qu’est-ce qui, dans la thalidomide, a bloqué —chez certains embryons— le développement normal des membres? Pour mesurer la profondeur de notre ignorance, on peut même élargir la question : qu’est-ce qui détermine qu’un membre se développe? Ce n’est que 50 ans plus tard qu’on commence à pouvoir répondre à ces questions.

C’est que la complexité des mécanismes chimiques qui sont à l’origine du développement d’un bras ou d’une jambe a mystifié les scientifiques jusqu’au développement de la génétique. Et pour ne rien arranger, la complexité de la thalidomide a elle aussi été un problème : lorsque nous l’avalons, nos enzymes la décomposent en au moins 18 molécules appelées métabolites, très différentes les unes des autres. En 2006, une équipe dirigée par Neil Vargesson, biologiste du développement à l’Université d’Aberdeen, en Écosse, a commencé à tester une à une ces 18 molécules. Pour s’apercevoir qu’une seule, CPS49, avait un effet dévastateur sur le développement des membres.

La semaine dernière, une équipe japonaise publiait dans Science une autre pièce du casse-tête : si la CPS49 a cet effet dévastateur, a-t-elle présumé, c’est qu’elle doit s’accrocher à une molécule spécifique de l’embryon. Laquelle? Hiroshi Handa et ses collègues de l’Institut de technologie de Tokyo ont identifié la protéine-coupable. En théorie, cela pourrait être un premier pas vers la création de versions moins dangereuses du médicament.

Car la thalidomide, en dépit de tout le mal qu’elle a causé, n’est pas disparue de la circulation. Au contraire, on sait depuis 1964 qu’elle se révèle très efficace pour combattre la lèpre, et on l’emploie depuis 1998 aux États-Unis contre un type de cancer du sang. Autrement dit, il y a bel et bien, au sein de ce médicament honni, quelque chose qui pourrait s’avérer de première importance pour la médecine... à condition de se débarrasser de son côté sombre.

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