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Revoilà le temps des vacances. Compris entre les deux semaines de la construction et les deux mois des écoliers, ce rendez-vous annuel de temps libre se rêve, s’espère, se planifie... En avons-nous plus qu’avant? Et surtout, que faisons-nous de tout ce temps libre?

Pour le savoir, l’Agence Science-Presse a interrogé Gilles Pronovost, professeur émérite au département des études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières et directeur général du Conseil de développement de la recherche sur la famille du Québec.

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Agence Science-Presse (ASP) – Qu’est-ce qui caractérise les vacances?

Gilles Pronovost (GP) — Les vacances, c’est le temps libre long. Mais nous avons aussi du temps libre court chaque semaine, tout au long de l’année. La majorité des travailleurs dispose de 20 à 30 heures de temps libre par semaine. Certains en disposent de plus que d’autres – ceux qui travaillent dans les services, par exemple – et d’autres, malgré eux – les chômeurs –, mais tous le remplissent. La durée des vacances est très variable selon les professions. Pour les professionnels et les gestionnaires, les vacances sont plus courtes. Depuis dix ans, la semaine de travail s’allonge pour cette catégorie de travailleurs. Mais ils ont du temps de récupération et surtout, les moyens financiers pour s’offrir des voyages, des sorties, une fin de semaine au chalet, etc. Il y a une grande disparité. Il y a d’un côté ceux qui ont moins de temps libre, mais partent en vacances et ceux qui ont plus de temps libre, mais pas les moyens de bouger. Il faut savoir que la moitié de la population québécoise passe les vacances à la maison.

ASP – En avons-nous plus qu’avant?

GP — Avoir des vacances est intégré dans notre mode de vie. Les vacances ne sont pas en régression, c’est le temps libre court qui l’est. Lorsque le temps de travail augmente, ce temps libre diminue. Lorsqu’on coupe, ce n’est ni sur le temps de sommeil, ni sur les tâches ménagères, c’est dans les sorties ou le temps passé avec les enfants. Les jeunes parents avec des enfants en bas âge possèdent très peu de temps libre : ils sont souvent à la course. À l’opposé, ceux qui en profitent le plus sont les retraités, en santé et en moyens. Mais lorsqu’on se plaint de ne pas avoir le temps, il ne faut pas se fier à notre perception. Il faut s’appuyer sur l’étude de Statistiques Canada sur le « budget temps » qui a reconstruit les journées de 24 heures de 17 000 répondants. On y relève le renversement historique de la baisse du temps libre quotidien.

ASP – Les Européens ont plus de vacances que nous, faut-il les envier?

GP — Avec ses cinq semaines, la France est une exception. Une exception pour bon nombre d’acquis sociaux, comme nous le démontre le débat autour des retraites qui sévit actuellement. Les vacances sont un acquis social historique du premier tiers du 20e siècle. Cela a été gagné ici par les syndicats, à coup de grèves perdues, contrairement en France où cela a été la décision du Front populaire, alors au pouvoir. Au Canada, les pouvoirs publics ont suivi les concessions patronales faites aux syndicats, accordant le minimum (deux semaines par an). Les vacances sont assez généralisées au Canada, il est rare de voir quelqu’un qui n’en prend pas sauf peut-être dans le milieu intellectuel et chez les dirigeants. Mais l’étude sur l’emploi du temps réalisée en France en 1998 démontre déjà la même tendance qu’au Canada d’un allongement du temps travaillé.

ASP – Qu’en faisons-nous?

GP — Les études sur l’emploi du temps – une tradition de recherche qui provient des États-Unis avec l’International Association for Time Use research – décortiquent les 24 heures d’une journée. La principale dévoreuse de temps libre est la télévision, avec un pic dans l’été, on retrouve ensuite les sorties et les visites des amis, les activités de loisir. Il faut noter que les activités culturelles et le sport ne représentent qu’entre 10 et 15 % de notre temps libre. Et ce temps libre est en déclin, en raison du poids accru du temps de travail. Après toutes les obligations quotidiennes, ce n’est pas toujours évident de trouver 4 ou 5 heures pour l’activité physique et la sortie au théâtre.

ASP – Faut-il gérer son temps libre, pour ne pas le perdre?

GP — Bien sûr, le temps libre se planifie et se gère. Avec les contraintes personnelles, nous n’en sommes pas maîtres absolus. C’est aussi une attitude culturelle : plus on est scolarisé, plus on maîtrise son temps. Cela dépend aussi de notre emploi : lorsqu’on travaille sur appel, on vit au jour le jour. Ceux qui travaillent à domicile ont un horaire plus flexible. L’idée derrière les vacances, c’est de rompre avec la routine, de ne pas respecter un horaire normal, de laisser aller le temps. Ce n’est pas incompatible avec la gestion du temps : on planifie une journée à la plage, mais pas toutes les activités de la journée. C’est une question d’équilibre. Il est vrai que les vacances apportent un sentiment de liberté et de détachement. Chacun est libre d’en faire ce qu’il en veut – être avec son enfant, pratiquer une activité physique, aller au musée, etc. – comme de ne rien faire.

ASP – Et les jeunes?

GP — Un de mes ouvrages se consacre aux pratiques des jeunes lors de leur temps libre, L’univers du temps libre et des valeurs chez les jeunes. Ce n’est pas facile de résumer 192 pages qui décrivent les parcours de 1847 jeunes de 11 à 15 ans. Lors des vacances, les parents sont assez d’accord, après l’école qui les occupe 30 ou 40 heures par semaine, de leur laisser du temps libre, que cela soit pour de petites sorties en famille ou avec leurs amis. Mais les parents ont aussi des préoccupations culturelles et éducatives, ils ne vont pas accepter que les jeunes ne fassent rien. Ils vont les inscrire en camp de jour et leur trouver des occupations plutôt que de les laisser totalement libres. C’est un double discours : « sois libre, mais pas trop ». Ils trouvent que c’est une bonne période pour apprendre à se structurer, à persévérer, s’affirmer, développer des goûts artistiques ou sportifs, etc. Et cela commence aussi tôt que 3 ou 4 ans chez les catégories de parents les plus scolarisés : camp musical, cours de langue, etc. Là aussi, la différenciation entre les classes socioéconomiques joue à plein. C’est vrai pour les vacances, mais aussi pour le reste de l’année — écoles à vocation particulière, garderies plus exigeantes, etc.

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