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Les gigantesques bonus versés aux PDG sont plus critiqués que jamais depuis la crise financière de 2007-2008. Leurs défenseurs allèguent la loi du marché, mais serait-il possible de démontrer scientifiquement que ces primes ont l’effet contraire?

De telles primes sont indispensables pour attirer les meilleurs candidats, a-t-on pu entendre depuis deux ans. Le secteur bancaire américain a en particulier une grosse pente à remonter, lui qui a été rescapé de la catastrophe par l’argent des contribuables, ce qui ne l’a pas empêché, depuis, de continuer à verser des cadeaux de plusieurs millions de dollars à ses administrateurs, même quand leur performance laisse à désirer.

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Or, il semble possible de prouver que ces gens ne travaillent pas mieux que les autres, insiste le psychologue Edward Deci, de l’Université de Rochester, dans l’État de New York. Au contraire : les bonus encouragent la triche! « Dès que vous rendez les récompenses dépendantes des résultats plutôt que des comportements, il est évident que les gens vont prendre le chemin le plus court vers ces résultats. »

Dans un article récent du New Scientist (réservé aux abonnés), un ancien courtier londonien, Geraint Anderson (auteur de Cityboy ), dit la même chose, mais dans un langage moins... universitaire :

Si vous êtes capable de voler le succès de vos collègues, de vous approprier le crédit de leur travail, de trompéter votre publicité et de lécher le cul de votre patron, vous pouvez faire grimper vos bonus.

On pourrait rétorquer que des bonus mieux conçus que ceux auxquels Wall Street a habitué ses compagnies pourraient mieux profiter à la société, mais Edward Deci émet une objection... depuis 40 ans. En 1971, il avait demandé à ses étudiants de résoudre des casse-tête : certains recevaient des prix en argent et d’autres, non. Il s’avérait immanquablement que les premiers étaient moins susceptibles de continuer à travailler sur le casse-tête, dès qu’ils avaient fait le minimum requis pour être payé.

En fait, il n’est même pas nécessaire de se rendre jusqu’à de l'argent. Les psychologues ont une longue littérature qui tend à démontrer que toute forme de récompense peut avoir pour impact de mettre fin à un travail que les gens faisaient auparavant pour le simple plaisir. Dans les mots de l’auteur Alfie Kohn, qui s’est spécialisé dans le comportement humain :

Plus vous récompensez les gens pour faire quelque chose, plus leur motivation intrinsèque tend à décliner.

Certes, on ne s’attend guère à ce que quelqu’un travaille à Wall Street « pour le plaisir ». Peut-on au moins établir un seuil au-delà duquel un bonus commence à être un désavantage? Les banquiers interrogés par le psychologue américain Dan Ariely lui ont par exemple admis qu’ils commencent à passer « beaucoup trop de temps » à calculer et recalculer leurs bonus de fin d’année... à partir d’octobre. « Si 80% de vos revenus viennent sous la forme d’un bonus, je m’attendrais à ce que vous fassiez la même chose. »

Mais au final, disent ces psychologues, peu importe le pourcentage précis. Ce que l’accumulation de leurs études démontre, c’est que l’argument selon lequel ces primes seraient un bénéfice net pour la compagnie, repose sur du vent. C’est une de ces choses prises pour acquis en économie, mais que personne ne s’est donné la peine de tester. Qui osera?

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