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C’était le 11 mars 2011. Fukushima devenait une nouvelle page du nucléaire. Six mois plus tard, alors que le reste de la planète est passé à autre chose, l’impact sur la santé des Japonais est... d’abord psychologique.

«Les populations dans les zones affectées présentent une attitude très pessimiste à l’égard de leur santé et de leur bien-être et un très fort sentiment de ne pas avoir de contrôle sur leur propre vie». C’est ce que l’Agence internationale de l’énergie atomique écrivait... à propos de Tchernobyl, en 2006, dans un bilan publié 20 ans après cette autre catastrophe nucléaire ( Chernobyl’s Legacy: Health, Environmental and Socio-Economic Impacts ).

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Or, c’est un scénario qui est en train de se réécrire autour de Fukushima à en juger par les nombreux reportages des derniers jours:

  • dans ce pays célèbre pour son hygiène et son souci pour la santé et l’alimentation, des millions de gens doivent désormais accepter de vivre avec un risque, faible mais omniprésent, de contamination à long terme dans leurs maisons, leurs jardins et leurs rues;
  • dans cet archipel surpeuplé, avec un marché du travail décrit comme «rigide», la plupart des gens habitant au-delà de la zone interdite doivent rester, et s’ajuster;
  • des familles sortent désormais avec leur compteur Geiger; des clubs vidéo en louent et dans des cours d’école, des bulldozers arrachent les premiers 50 cm du sol; quant aux journaux et téléjournaux, ils diffusent des bulletins de radiations quotidiens;
  • enfin, les autorités ont décrété des «normes» de radiations acceptables supérieures à ce qui aurait été considéré, jusqu’en mars, comme étant «la norme acceptable».

Ça ne signifie pourtant pas que ces gens seront plus nombreux à avoir le cancer. Il est même possible que ce niveau de radiations ne change rien aux statistiques sur le cancer, dans 20 ans ou 30 ans. Mais on n’en est pas sûr, parce que la science des faibles doses de radiations est encore marquée par l’incertitude. Comme l’explique dans The Guardian Masao Tomonaga, directeur de l’Hôpital de la bombe atomique de Nagasaki:

Nous ne pouvons pas donner aux gens de données pour prouver que 5 millièmes de sievert sont sécuritaires ou que 10 millièmes de sievert sont sécuritaires. Avec les bombes atomiques, les survivants ont reçu des doses massives de radiations dans l’ensemble de leurs corps dans un court laps de temps. Avec Fukushima, les gens reçoivent une très petite dose, chaque jour. C’est une très importante différence.

Pas étonnant alors que la conclusion ces jours-ci soit que les retombées de Fukushima pourraient être bien plus graves sur les esprits que sur les corps:

  • «une crise psychologique de doute et de dépression pourrait s’avérer plus déstabilisante que tout ce qui est survenu auparavant» (The Guardian);
  • «la santé mentale a longtemps été un sujet embarrassant dans la société japonaise; il est temps de passer par-dessus cette sorte d’hésitation et de honte» (The Japan Times);
  • «les gens souffrent de radiophobie» (Der Spiegel).

Radiations: qu’est-ce qui est normal et anormal?

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous sommes tous exposés, en moyenne, à 2,4 millièmes de sievert par année, par de la radioactivité tout ce qu’il y a de naturel. Une radiographie dentaire en ajoute 0,01. Une mammographie, 0,4. Un vol transatlantique, 0,5 (voir ce graphique et celui-ci).

C’est donc dire que quelques millièmes de sieverts par année sont normaux. Un employé d’une compagnie aérienne faisant New York-Tokyo est exposé à 9 millièmes de sievert par année. Un patient subissant un scanner, à une douzaine.

À l’autre extrémité du spectre, l’OMS estime qu’une personne exposée à 1000 millièmes, soit le seuil fatidique d’un sievert, éprouverait des nausées, souffrirait du mal des radiations, mais survivrait. C’est donc dire que le seuil de risque se situe quelque part en-dessous. Où exactement?

Et pour les Japonais, le problème n’est même pas là. Le problème est plutôt: comment calculer la dose «supplémentaire» que chacun a reçue? Lors de ces journées critiques qui ont suivi l’accident du 11 mars, combien d’heures ai-je passées à l’extérieur? Qu’ai-je mangé? A-t-il neigé pendant que j’étais à l’extérieur? Quels étaient mes vêtements? Des radiations ne traversent ni les murs, ni les vêtements: ça fait donc une différence sur les millièmes de sieverts reçus (voir ce texte de vulgarisation et celui-ci).

Tchernobyl versus Fukushima

Plus le temps passera et plus il sera difficile d’attribuer des décès à l’accident de Fukushima. Par exemple, l’OMS, 20 ans après Tchernobyl, évaluait à 4000 le nombre de décès par cancers statistiquement attribuables à l’accident nucléaire là-bas —soit 4% au-dessus du taux normal de cancers dans la région. D’autres études assurent plutôt que les décès se compteront plutôt un jour en dizaines, voire en centaines de milliers.

Or, la raison de ce débat est purement mathématique: l’OMS a choisi de prendre en compte les 626,000 personnes qui furent les plus exposées aux radiations, parce qu’avec elles, on peut calculer un risque statistique accru d’un cancer. D’autres chercheurs ont choisi de prendre comme base de calcul des millions, voire des dizaines de millions de personnes, qui ont été exposées à des doses minimales de radiations, en présumant que chez elles aussi, le risque de cancer était accru —mais ça reste à prouver.

Fukushima a laissé s’échapper moins de 10% de la radioactivité mesurée à Tchernobyl, selon les autorités nucléaires. Et il y a deux bémols. Le premier, c’est l’océan: les cartes des nuages radioactifs finalement publiées ces dernières semaines révèlent que la majeure partie de la contamination, au Japon, s’en est allée vers l’océan. C’est là une «chance» que le territoire autour de Tchernobyl n’avait pas —à l’inverse, il faudra des années pour évaluer l’impact sur la vie marine.

Le deuxième bémol, c’est le type de radiations. Il y en a trois:

  1. - L’iode; c’est la moins inquiétante parce que sa demi-vie est de 8 jours; cela veut dire que dès le 18 mars, la moitié de la radioactivité causée par l’iode s’était dissipée; avant la fin-mars, plus des trois quarts. C’est par contre la plus inquiétante médicalement, parce que c’est à elle qu’on doit les cancers de la glande thyroïde. On en compte déjà plus de 6000 reliés à Tchernobyl, où plus de 10 millions d’enfants ont été exposés à des niveaux élevés d’iode-131. Parmi eux, un sur 100 risque de mourir de ce cancer d’ici 30 ans. Par contre, ce à quoi Tchernobyl n’a pas eu droit, c’est à une distribution massive de pastilles d’iode, comme on en a vu à Fukushima: celles-ci servent à «saturer» la glande thyroïde, de manière à éviter que l’iode-131 ne s’y installe à demeure. Autrement dit, si les choses tournent bien, les cancers de la glande thyroïde pourraient ne pas être un problème à Fukushima comme ils l’ont été à Tchernobyl.
  2. - Le caesium; c’est le plus inquiétant, parce que sa demi-vie est de 30 ans; on n’a donc pas fini d’en détecter, dans les potagers, dans les villes, dans le lait maternel. C’est grâce à lui qu’on peut, depuis le 30 août, dresser des cartes de la contamination autour de la centrale et comparer les retombées de Tchernobyl et de Fukushima (la zone recouverte à Tchernobyl était beaucoup plus grande).
  3. - Strontium, americium, plutonium; c’était un gros motif d’inquiétude, parce que ce sont des contaminants encore plus dangereux que le caesium; il y en avait à Tchernobyl, il n’y en a pas à Fukushima parce que les sarcophages de béton autour des réacteurs sont en majeure partie intacts.

La conclusion provisoire, six mois plus tard: la radioactivité autour de Fukushima n’est pas aussi grave que ce que les commentaires les plus alarmistes suggéraient. Mais il faudra des années avant que le nuage d’inquiétude ne se dissipe et dans l’intervalle, le stress, l’angoisse et l’anxiété auront fait beaucoup plus de dommages que le caesium.

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