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Cette année, le Nobel d’économie est aussi près des sciences «pures» qu’il lui est possible de l’être: il y avait dans la démarche des deux gagnants un réel désir de rendre leur discipline «testable», au sens où on l’entend en science. Alors pourquoi est-ce que ça n’a pas fonctionné?

L'un des lauréats, Christopher Sims, est ainsi cité dans le New York Times : «les méthodes que j’ai développées et que Tom [Sargent] a développées sont fondamentales pour réussir à sortir de cette crise».

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Donc, ça y est, la récession est terminée?

Tous deux ont en commun de s’être intéressés, à partir des années 1970, à la possibilité de calculer comment une nouvelle politique —comme une réduction d’impôt ou une hausse des taux d’intérêt— affectera l’économie.

Le problème, c’est qu’un économiste ne peut pas «tester» sa théorie, comme un chimiste peut mélanger ses substances et observer la réaction. Il ne peut pas, comme un biologiste, soumettre des animaux de laboratoire à un régime alimentaire précis dans un local à la température contrôlée, et observer les résultats.

Néanmoins, Thomas Sargent et Christopher Sims sont allés très loin dans leurs efforts. Ils ont développé des outils mathématiques pour catégoriser des données historiques et tenter de distinguer plusieurs variables. Sims s’est concentré sur les politiques à court terme et ses méthodes ont été plus tard utilisées pour déterminer par exemple si la décision d’une banque centrale de hausser les taux avait affecté l’inflation. Sargent, de son côté, a analysé les données historiques en se concentrant sur les changements à long terme, par exemple une cible lointaine pour l’inflation que se fixerait un gouvernement.

Des travaux indéniablement ambitieux. Mais en bout de ligne, aucun des deux n’a prédit la crise de 2008, ni l’impact qu’auraient en 2011 les politiques de sauvetage de l’économie lancées entretemps.

Trop d'autorité

Cet échec ne devrait pas être une surprise et pourtant, les économistes continuent d’avoir une capacité d'influence énorme dans nos sociétés. Comme le disait Friedrich Hayek, dans son discours d’acceptation du Nobel d’économie 1974:

Le Prix Nobel confère à un individu une autorité qui, en économie, ne devrait être possédée par quiconque.

Ceci importe peu dans les sciences naturelles. Là, l’influence exercée par un individu est essentiellement une influence sur ses collègues experts. Et ils le réduiront rapidement en pièces s’il outrepasse ses compétences.

Mais l’influence de l’économiste qui a de l’importance est une influence auprès des non-experts: politiciens, journalistes, fonctionnaires et le public en général.

Un des problèmes est qu’à force de croire que l’économie est une science «prédictive» (comme la biologie ou la chimie), plusieurs en sont venus à juger normal qu’elle ait une aussi grande influence dans le «vrai monde». D’autres vont alléguer que ses «prédictions », à défaut d'être justes, ont au moins l'avantage de progresser avec le temps, mais même cet argument ne fait pas l’unanimité. L’économiste Paul Krugman —encore un Nobel— faisait cette remarque le mois dernier sur son blogue:

Je n’ai jamais aimé la notion de «science» économique —c’est une discipline beaucoup trop imparfaite pour être mise sur le même pied que la chimie ou la biologie... Toutefois, quand j’étais plus jeune, je croyais fermement que l’économie était un domaine qui progressait à travers le temps, que chaque génération connaissait davantage que la génération précédente.

La question est de savoir si c’est toujours vrai. En 1971, il était clair que les économistes savaient beaucoup de choses qu’ils ne savaient pas en 1931. Est-ce aussi clair quand nous comparons 2011 à 1971? Je pense que vous pouvez alléguer que sur plusieurs plans, la profession savait plus en 1971 qu’elle ne sait maintenant.

J’ai écrit beaucoup sur l’Age sombre de la macroéconomie, c’est-à-dire la façon dont les économistes répètent des erreurs de 80 ans avec la conviction qu’il s’agit de vérités très profondes... Ce que j’ajouterais, c’est qu’aujourd’hui, j’ai l’impression que plusieurs économistes n’essaient même pas d’accéder à la vérité. Lorsque je regarde ce que beaucoup d’économistes éminents ont écrit en réponse à la crise actuelle, je ne vois aucun signe d'un malaise intellectuel, aucun signe qu’ils sont troublés par un désastre qui n’avait aucune place dans leurs modèles.

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