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La science occuperait sûrement une meilleure place dans les priorités gouvernementales s'il y avait davantage de scientifiques impliqués politiquement. En leur absence, il faut expliquer aux politiciens ce qu'est la science, et il faut trouver la bonne façon de le faire, ce qui n'est pas toujours facile. C'est ce que nous explique le scientifique en chef du gouvernement australien, Ian Chubb, dans une entrevue diffusée dans l'émission de cette semaine, et dont nous vous offrons ici la version originale.

Je vote pour la science - Pouvez-vous commencer par nous dire ce qu'est votre travail, et peut-être en quoi il se compare à celui du scientifique en chef du Québec.

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Ian Chubb - Mon travail est de fournir des avis au gouvernement. Et en particulier au 1er ministre et au ministre de la Science. Mais aussi aux autres ministres. C’est un poste au service de l’ensemble du gouvernement. Et y a trois objectifs principaux : fournir des avis sur des choses sur lesquelles j’ai fait des recherches, sur des choses qui émergent. Fournir des avis qui seront utiles aux politiciens, sur des choses à propos desquelles ils seront alertés. Et être un défenseur de la science en général, un visage public si vous voulez.

A cette fin, j’ai à faire avec beaucoup d’écoles, beaucoup de groupes de la société civile. Je crois que depuis 5 mois que j’occupe ce poste, j’ai donné 45 discours. Beaucoup d’opportunités pour parler de la science, et de l’importance de la science en Australie.

En ce qui concerne le scientifique en chef du Québec, je suis sûr que nos rôles ont des similitudes. Il conseillera les politiciens québécois sur la science, sur ce qui est important en science pour la province. Chez nous, nous avons aussi des scientifiques en chef dans les États et territoires d’Australie, leurs rôles sont de conseiller leurs politiciens. Donc, ce sont des rôles plus ciblés que le mien. Mon rôle porte davantage sur l’impact national de la science et les questions nationales auxquelles est confrontée la science. Aussi, une bonne partie de ce que je fais porte sur les relations avec d’autres pays. JVPLS - Votre prédécesseur à ce poste a publié un avis intitulé « Comment la science peut servir à changer la façon dont nous apprenons ». Il pourrait nous servir à illustrer un problème inhérent à votre travail. Avec un sujet comme celui-là, nous aurons d’un côté des scientifiques, neurologues comme vous, désireux de promouvoir l’importance de leur discipline, et de l’autre, des gens du personnel politique, indifférents à ce que le gouvernement investisse, peut-être même hostiles. Dès qu’il y a une quelconque controverse, comment pouvez-vous éviter d’être utilisé politiquement par un camp ou l’autre?

IC - Je pense qu’il faut constamment rester sur ses gardes. Bien que ça ne me soit pas encore arrivé, je suis sûr qu’il y aura des moments où, dépendamment du sujet, je serai enclin à trop me rapprocher des politiciens, d’un côté ou de l’autre. Je crois pour ma part à la nécessité de conduire la voiture tout droit. Le vent peut souffler des deux côtés, mais si je conserve bien ma trajectoire, je suis en terrain assez solide.

De plus, je pense que si on comprend bien comment le processus fonctionne, si je comprend bien que mon rôle est de donner des conseils, alors je vais le faire à partir des preuves qui existent. Peut-être que parfois je vais interpréter ces preuves, ou je vais demander à quelqu’un de les interpréter pour moi parce que je ne peux pas être un expert en tout. Mais je sais comment le système fonctionne, je sais comment fonctionnent les experts, je sais comment aller chercher des conseils et comment les utiliser. Mais je sais aussi comment prendre garde à quelqu’un qui voudrait me manipuler à des fins politiques, et là-dessus, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’éviter.

JVPLS - Il a été dit que votre prédécesseur avait quitté son poste prématurément, déçu du peu d’intérêt envers la science au sein du gouvernement. Est-ce inévitable? La science est-elle vouée à figurer loin dans l’ordre des priorités d’un gouvernement?

IC - Je pense qu’il faut que ça change. Je pense qu’une partie de mon rôle est de voir à ce que ça change un peu pendant le temps qui m’est alloué et mon successeur va continuer. Il faut le faire notamment en rappelant constamment aux politiciens la valeur historique qu’a eu la science pour forger la société que nous avons aujourd’hui. Et le potentiel qu’offre la science pour répondre, au moins en partie, aux grandes questions qui confrontent l’humanité, que ce soit l’énergie ou le climat ou les épidémies. Aucune de ces questions ne sera résolue sans la science.

Donc, la chose importante à retenir, c’est que pour faire passer un message, vous devez y consacrer sans cesse de nouveaux efforts.

Vous devez aussi mettre ça en parallèle avec le fait qu’une partie du rôle des scientifiques, pas juste le mien, est d’élever le niveau de compréhension de la science et de ses valeurs dans la communauté. De travailler avec les sciences sociales pour façonner la manière dont la science se développe. D’amener les gens à comprendre les valeurs de la science, et les valeurs que la science leur apportera. Et comment la science les aidera à résoudre certains des grands enjeux. Donc, une approche à multiples facettes.

JVPLS - Peut-être qu’une des raisons pour lesquelles ces approches sont si difficiles est qu’il y a très peu de scientifiques impliqués politiquement. Qu’en pensez-vous?

IC - Certainement. Je ne sais pas ce qu’il en est au Canada, mais il n’y a qu’un tout petit nombre de politiciens en Australie, à tous les niveaux de gouvernement, qui ont une formation en science. Il y a beaucoup de gens intelligents, mais il faut aller les voir et leur expliquer ce que la science peut faire. Vous devez leur rappeler des choses comme, la science n’est pas parfaite, il y aura des moments où des erreurs seront faites, où les prévisions seront fausses, mais qu’il y a aussi suffisamment de preuves comme quoi la science a apporté une contribution majeure à la façon dont nous vivons nos vies.

Vous pouvez faire passer ce message, aussi longtemps que les gens sont prêts à vous écouter. Et ça vaut autant pour les politiciens. Mais vous devez trouver la bonne façon de faire passer votre message, et vous devez le faire sur plusieurs fronts à la fois.

JVPLS - Croyez-vous qu’il soit possible d’avoir plus de scientifiques en politique? Avez-vous en Australie des programmes, comme ce AAAS Fellowship aux États-Unis, quoi que ce soit qui serait, même de loin, comparable?

IC - Oui, mais de très loin. Je crois que les bourses de l’AAAS sont un programme fantastique, qui contribue à une compréhension de la science, et des preuves produites par la science —et je crois que c’est de la preuve dont nous parlons ici : comment utiliser les preuves scientifiques pour aider à façonner de meilleures politiques publiques.

Ce qu’il faut faire, je crois, c’est de vous assurer que quand vous formez les gens aux sciences, ils soient aussi exposés à des options valables pour eux quand ils auront leur diplôme, que ce soit un bacc ou un doctorat. Je pense surtout qu’il nous faudra examiner le contenu de ces programmes et la façon dont nous les enseignons. Parce que vous ne donnez pas aux gens une impression de ce qu’est la politique publique juste parce que vous avez étudié la science. Mais il est important que nous ayons des gens ayant étudié la science qui soient impliqués en politique. Si vous acceptez cette prémisse, vous devez examiner comment vous les éduquez.

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