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S’il fallait que l’humanité, dans les prochains siècles, brûle tout le charbon de la planète, nous nous dirigerions vers une catastrophe climatique de loin plus grave que si nous poursuivions la croissance de notre consommation de pétrole. Un calcul qui a vite été repris par les promoteurs des sables bitumineux —mais peut-être un peu trop vite.

Deux climatologues canadiens, dans la dernière édition de la revue Nature Climate Change , remettent ainsi en perspective l’impact à long terme des sables bitumineux, en le comparant à celui du charbon. Neil Swart et Andrew Weaver, de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, ont comparé l’impact qu’aurait la transformation des 170 milliards de barils théoriquement récupérables des sables bitumineux de l’Alberta, avec, en face, l’impact à long terme d’une croissance économique mondiale qui continuerait d’être axée sur le charbon.

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La Une du quotidien The Globe and Mail a tout de suite traduit la réaction enthousiaste de certains: «La science vient au secours des sables bitumineux». Mais ce n’est pas tout à fait le cas, réplique Andrew Weaver dans des entretiens suivant la publication de cette étude.

«Ce serait une grave erreur que d’interpréter nos résultats comme une sorte de chèque en blanc pour les sables bitumineux. J’ai toujours dit que les sables bitumineux sont un symptôme d’un très gros problème : notre dépendance aux carburants fossiles.»

Selon leurs calculs, exploiter tout ce pétrole albertain aurait pour impact direct une hausse de la température de 0,02 à 0,05 Celsius. Le charbon et le gaz naturel de l’ensemble de la planète, mis bout à bout, auraient une contribution catastrophiquement plus élevée: jusqu’à 15 degrés de plus.

Ce qui, en soi, n’est pas une découverte: le charbon est dûment catalogué comme la source d’énergie la plus polluante et les émissions des centrales au charbon sont reconnues comme étant les plus dangereuses pour la santé humaine. Le groupe Sierra Club en a fait le thème de sa campagne de sensibilisation, Beyond Coal.

Mais la vive opposition au pipeline Keystone depuis 2011 —qui doit acheminer le pétrole de l’Alberta vers les raffineries du sud des États-Unis— a légèrement faussé le débat, résume, parmi d’autres, Dan Gardner dans le Ottawa Citizen . Elle a créé l’impression que de bloquer l’extraction de ces fameux sables bitumineux était la clef contre le réchauffement planétaire. Et c’est cette perception que cette nouvelle étude met à mal. Le journaliste environnemental Brian Walsh ajoute dans le Time :

Les verts se sont approprié le pipeline, non pas parce que la construction du Keystone serait désastreuse, ni même parce que les sables bitumineux dans leur ensemble sont décisifs pour le climat mondial, mais parce que ce projet est un symbole auquel il est facile de s’opposer ouvertement.

Valeur symbolique, écrivent également Neil Swart et Andrew Weaver dans leur article: si nous voulons éviter une hausse globale de la température de plus de deux degrés par rapport au 19e siècle, nous avons le devoir « d’éviter de nous engager dans de nouvelles infrastructures soutenant notre dépendance aux carburants fossiles ».

Etes-vous un activiste ou un analyste du climat?

Du coup, le débat renvoie dos à dos ceux que le professeur à l’Université de Colombie-Britannique George Hoberg a récemment appelé les «analystes climatiques» —ceux qui s’en tiennent aux données brutes, comme la quantité de gaz à effet de serre émise par le charbon, le gaz ou le pétrole— et les «militants climatiques» —ceux pour qui il est tout simplement impensable de poursuivre l’extraction des sables bitumineux. Comme le rappelle le média environnemental Mother News Network, cela pourrait bientôt placer dans une situation intenable les environnementalistes qui choisiraient de ne s’accrocher qu’à la branche du militant :

Même les plus évangélisateurs de l’écologie l’admettent : nous aurons besoin d’une quantité importante de pétrole pour au moins une autre génération. Alors que les ressources renouvelables sont prêtes dès maintenant à prendre la place du charbon. Opposez-vous aux pipelines, et dans les faits, vous vous opposez au ralentissement de l’expansion des hydrocarbures. Attaquez-vous au charbon, et vous vous battez beaucoup plus directement en faveur d'un monde gouverné par une énergie plus propre.

La chose qui rallierait les activistes et les analystes? Sans doute un prix sur le carbone. À ce petit jeu, toutes les centrales électriques au charbon seront, très vite, perdantes. Et les sables bitumineux perdront, plus lentement mais inévitablement, de leur intérêt.

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