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Yasser Arafat a-t-il vraiment été empoisonné au polonium? À première vue, les faits semblent solides. Mais comme l’admettent les chercheurs eux-mêmes, il subsiste des zones d’ombre, et il est peu probable que la lumière puisse jamais y entrer.

Il faut d’abord rappeler que, contrairement à l’impression laissée ces derniers jours, les tests n’ont pas véritablement trouvé de polonium dans les vêtements et les os examinés par un laboratoire suisse de médecine légale. Ils ont trouvé ce qui pourraient être des traces indirectes de cet élément radioactif: une «signature» comme disent les physiciens. La raison étant que le polonium est un élément qui se dégrade très vite: sa «demi-vie» est de seulement 138 jours. Or, Arafat est mort il y a neuf ans, le 11 novembre 2004.

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En se dégradant toutefois, le polonium laisse des «radiations résiduelles», et c’est cette signature qui aurait été détectée, sous la forme d’un certain isotope de plomb (Pb-206), un isotope connu pour être un résultat de la dégradation du polonium. C’est ce qui a conduit l’équipe suisse à annoncer que ses résultats soutenaient «modérément» l'hypothèse de l’empoisonnement au polonium: ce plomb serait présent dans une proportion 18 fois supérieure à la moyenne.

L'équipe du Centre universitaire de médecine légale de Lausanne a fait cette annonce dans une conférence de presse tenue le 7 novembre, en même temps que son rapport d'une centaine de pages était rendu public par la chaîne de télé Al-Jazira, qui a soutenu la relance de cette enquête et s’est associée aux chercheurs suisses.

Ce sont toutefois trois équipes indépendantes de chercheurs, en Suisse, en Russie et en France, qui ont reçu les échantillons de vêtements et d’os du chef palestinien, lorsque celui-ci a été exhumé en novembre 2012. Or, la deuxième équipe, en Russie, serait plus prudente, selon les informations qui ont filtré depuis le mois dernier: elle alléguerait ne pas avoir trouvé suffisamment de preuves pour affirmer que le polonium-210 «a causé les symptômes d’empoisonnement». Et la troisième équipe, en France, n’a pas encore publié ses résultats.

Le polonium-210 ne peut être ingéré de façon accidentelle. Pour en obtenir en quantité suffisante, il faut un accès aux sous-produits d’un réacteur nucléaire. D’où les soupçons pointés vers Israël.

Toutefois, fait observer la journaliste et auteure Deborah Blum, spécialiste des poisons, d’autres «signatures» peuvent être en cause. L’exposition à la fumée de tabac par exemple, pourrait apparemment doubler le niveau de polonium dans le corps. C’est beaucoup, mais ça laisse loin en-dessous des proportions soupçonnées ici —le rapport de l’équipe suisse mentionne d’ailleurs l'hypothèse de la fumée de tabac.

Le fait que les conclusions des équipes suisses et russes divergent, laisse croire qu’on pourrait bien ne jamais avoir de réponse définitive: toute trace directe de polonium-210 est depuis longtemps disparue des restes de l’ancien chef palestinien. Une autopsie, après son décès dans l’hôpital militaire français où il avait été transféré d’urgence, aurait pu apporter la lumière, mais cette autopsie, rappelle Slate , avait à l’époque été refusée par la femme d’Arafat.

Une réponse définitive est d’autant moins probable quand on se rappelle les suites de l’autre cas cité dans la presse cette semaine, celui du dissident russe Alexandre Litvinenko, décédé à Londres en 2006. Dans son cas, un empoisonnement au polonium avait été clairement établi: l’élément radioactif était encore détectable dans son corps, alors qu’il était hospitalisé et que son état de santé se détériorait rapidement. Or, bien que les soupçons se soient rapidement portés sur deux officiers de police russes avec qui il avait pris un verre au restaurant de son hôtel, jamais ceux-ci n’ont été interrogés, et encore moins jugés. Les enquêteurs britanniques ont suivi une «piste» radioactive dans leur chambre d’hôtel et jusque dans l’avion qui les avait menés en Grande-Bretagne, mais les deux hommes sont rentrés en Russie et n’ont jamais été inquiétés. Dans le cas d’Arafat, une éventuelle enquête n’aurait même pas un début de piste à suivre.

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