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Une compagnie qui a conclu que le réchauffement climatique était une réalité, avant de passer 25 ans à financer des groupes qui niaient cette réalité, peut-elle être accusée de fraude? C’est la menace qui pend au nez de la pétrolière Exxon.

 

À quelques jours d’intervalle, le candidat à la présidence Bernie Sanders et deux élus californiens ont demandé au ministère américain de la justice de lancer une enquête sur le géant du pétrole Exxon, à la lumière d’une série de reportages publiés ces dernières semaines par le magazine Inside Climate News. On y apprend qu’au cours des années 1970 et 1980, des scientifiques financés par Exxon ont conclu à la réalité des risques liés aux émissions de gaz à effet de serre, ont prévenu les dirigeants d’Exxon et ont même publié des recherches dans des publications scientifiques. Le vent a tourné à la fin des années 1980, lorsqu’Exxon a commencé à dépenser des millions pour mettre en doute la science du climat et pour convaincre les politiciens et le public qu’il était trop tôt pour agir.

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Dans sa lettre au ministère de la Justice le 20 octobre, le sénateur Sanders emploie un langage similaire à celui par lequel les gouvernements américain et britannique ont déclenché des poursuites contre les compagnies de tabac dans les années 1990 :

 

Sur la foi des informations disponibles, il apparaît qu’Exxon savait que son produit causait du tort au public, et a dépensé des millions pour obscurcir les faits.

 

En entrevue au magazine Think Progress , une procureure retraitée qui avait contribué aux poursuites contre les compagnies de tabac confirme qu’à la lumière de ces révélations, une action contre les pétrolières est «plausible et devrait être prise en considération». Quant aux environnementalistes américains, c’est depuis la fin septembre qu’ils poussent leurs alliés politiques en ce sens :

 

  • sur la base de la loi américaine RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act) qui avait permis de poursuivre les compagnies de tabac;
  • ou en vertu de la loi qui oblige les compagnies à révéler à leurs actionnaires les risques susceptibles de nuire à la valeur de la compagnie;
  • ou en incitant des individus ou des groupes à déclencher un recours collectif pour le tort subi à cause des changements climatiques.

 

L’un des chefs de file des Verts, l’auteur Bill McKibben, a écrit le 9 octobre que «jamais une histoire ne l’avait mis autant en colère», en 28 ans de dossiers environnementaux. Dans une lettre au quotidien The Guardian, il précise:

 

Si, à n’importe quel moment [des 25 dernières années] Exxon —la plus grosse pétrolière sur Terre, l’entreprise la plus profitable de l’histoire humaine— avait dit : «nos propres recherches démontrent que ces scientifiques ont raison et que nous sommes en territoire dangereux», le faux débat aurait pris fin instantanément.

 

L’enquête de Inside Climate News se base sur des documents internes de la compagnie et des entrevues avec d’anciens administrateurs. On y apprend par exemple que les scientifiques d’Exxon commencent à faire des recherches sur le climat en 1977. Qu’en 1981, un document de synthèse destiné aux dirigeants d’Exxon évalue que la hausse du CO2 conduira, au 21e siècle, à une hausse moyenne de la température de 3 degrés. Qu’en 1984, un forage sous-marin en Asie est annulé en raison des risques d’émissions de gaz à effet de serre.

Une enquête séparée du Los Angeles Times a également révélé qu’Exxon avait étudié dans les années 1980 comment le réchauffement climatique affecterait ses opérations dans l’Arctique.

Le dernier article d’Inside Climate News, publié le 22 octobre, raconte comment les lobbyistes d’Exxon ont attaqué, dans les années 1990 et 2000, la crédibilité du scientifique fédéral en chef pour les questions climatiques, Michael MacCracken. Après l’arrivée au pouvoir du président George W. Bush en 2001 —lui-même un ancien de l’industrie pétrolière— Exxon a travaillé très fort pour que des scientifiques «sceptiques» du réchauffement obtiennent des positions-clefs au sein de l’appareil gouvernemental, là où se préparait la future politique américaine sur le climat. Ses efforts ont eu du succès, jusqu’à ce que, à partir de 2004, des groupes comme l’Union of Concerned Scientists ne commencent à dénoncer cette campagne de désinformation. Mais personne à cette époque n’avait soupçonné qu’Exxon avait failli prendre une autre route, un quart de siècle plus tôt...

 

 

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