ile-de-paques.jpg
La croyance populaire à l’égard de l’Ile de Pâques est mise à mal : aucune preuve archéologique ne soutient la théorie d’un déclin catastrophique de la population, encore moins d’une guerre sanglante.

Selon cette théorie, la société qui a construit les quelque 800 statues de pierre, ou moaï, il y a un millier d’années, se serait ensuite retournée contre elle-même parce qu’elle aurait sur-utilisé les ressources de l’île, appelée Rapa Nui. Des clans se seraient révoltés, la famine, la guerre et le cannibalisme auraient frappé et la société aurait sombré dans le chaos. De 30 000 qu’ils auraient été au moment de la construction des statues, les habitants n’étaient plus que 3000 au moment de l’arrivée des Européens, dans les années 1700.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Popularisé par l’auteur Jared Diamond dans son bestseller Collapse en 2005, ce récit est devenu une métaphore de notre propre défi écologique.

Sauf que les recherches archéologiques des dernières décennies n’ont trouvé ni trace de guerre sanglante, ni preuve d’une population qui aurait pu atteindre les 30 000. C’est ce que résume l’équipe de l’archéologue américain Carl Lipo dans l’édition de février de la revue Antiquity .

Les auteurs rappellent l’origine de cette estimation des 30 000 habitants: ce chiffre n’a jamais reposé sur des recherches archéologiques, mais sur l’opinion des Européens selon laquelle les 3000 personnes présentes à l’arrivée du capitaine danois Jacob Roggeveen, en 1722, n’auraient pas été capables de mener à bien la construction des statues de pierre. À partir de là, des auteurs ont donc lancé à la volée des chiffres : 10 000, 20 000 ou 30 000.

Or, une agriculture intensive consistant à brûler les forêts pour faire pousser plus de nourriture —c’est la théorie de la déforestation défendue notamment par Diamond— aurait laissé des traces pour les archéologues d’aujourd’hui. Des guerres auraient laissé des marques sur un très grand nombre de squelettes.

Reste l’argument, auquel s’est attaquée l’équipe de Carl Lipo, de ces objets appelés mata’a trouvés un peu partout sur l’île. Ceux-ci ont souvent été décrits comme des pointes de lances. Mais pour Lipo et son équipe, ces pierres noires appelées obsidiennes étaient des outils plutôt que des armes : leur analyse de 400 de ces pierres les conduit à conclure que s’il s’était agi de pierres taillées pour la guerre, elles auraient toutes eu la même forme et la même taille:

Vous pouvez toujours utiliser quelque chose pour une lance. N’importe quoi peut devenir une arme. Mais dans un état de guerre, les armes doivent être compétitives.... Vous pourriez couper quelqu’un [avec un mata’a] mais ce ne serait certainement pas mortel.

Carl Lipo fait partie de ceux qui, depuis 2000, défendent l’idée qu’une population de quelques milliers sur Rapa Nui, bien organisée et avec des connaissances de base en construction, aurait été tout à fait capable d’ériger ces statues. Si on suppose que les 3000 habitants des années 1700 représentaient une population normale depuis la colonisation de l’île, il n’est pas difficile d’imaginer que l’agriculture et la pêche aient pu nourrir ces gens —en fait, le capitaine Roggeveen avait noté dans son carnet que les habitants de l’île étaient bien alimentés et avaient partagé de la nourriture avec son équipage. Lipo a également défendu dans le passé l’idée que des rats arrivés sur l’île avec les premiers Polynésiens seraient les véritables responsables d’un désastre écologique ayant entraîné une déforestation.

Jared Diamond et ses partisans ont eu d’autres occasions d’en découdre. Déjà en 2011, ils avaient attaqué l’hypothèse des rats. Lipo se retrouve aujourd’hui à la tête du camp des chercheurs qui, depuis quelques années, préfèrent décrire les Polynésiens comme beaucoup plus adaptables —et ingénieux— face aux défis qui leur furent posés par l’environnement changeant de leur île.

Je donne