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À l’heure du numérique, les connaissances scientifiques jouissent d’une plus grande accessibilité. Loin d’encourager une « science prêt-à-porter », le défi reste toutefois, au-delà de favoriser simplement sa transmission nord-sud, de bâtir des ponts entre les nations.

Pour stimuler le partage et la création de connaissances scientifiques dans tous les pays, même les plus pauvres, « la tâche des scientifiques et des médiateurs de la science consiste à faire en sorte que la science et ses connaissances ne soient pas comprises comme l’apanage d’un peuple privilégié, mais que ceux qui s’en trouvent étrangers puissent aussi se les approprier », relève Esaïe Yambaye, enseignant-chercheur en philosophie des sciences de l’Université de N’Djaména, au Tchad.

Il importe alors que ceux tenus à l’écart de la science se départissent de leurs complexes à son égard et s’engagent aussi dans la diffusion des sciences. « Sans cela, le partage de la science sera creux », insiste le participant au panel Quelle diffusion de la science et de la culture scientifique : d’hier à demain? présenté lors du récent événement Journées internationales de la culture scientifique - Science & You.

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Au Tchad, après une longue période de guerre civile, la culture de la science profite de l’accalmie politique et de la manne pétrolière. Il y a une volonté politique de contribuer à la recherche scientifique et à sa diffusion. Pourtant, il manque encore des « courroies de transmission entre les hommes de science capables d’insuffler la culture de la science et les jeunes scientifiques », affirme le chercheur.

Son collègue du Maroc, Aziz Bensalah, relève que la diffusion de la culture scientifique et technique s’avère également assez récente dans son pays. Mis en place en mars 2008 par le Centre national pour la recherche scientifique et technique, le Réseau national pour la promotion et la diffusion de la culture scientifique et technique regroupe des structures universitaires marocaines œuvrant dans ce domaine.

La mission de ce centre est le développement de la capacité des citoyens marocains à comprendre les avancées scientifiques et techniques et les enjeux qui leur sont liés par des actions aux niveaux local, régional et national. « Ce mouvement de culture scientifique a réussi, depuis 10 ans, à aller à la rencontre des différents publics et à mettre en place des pratiques adaptées à leurs attentes et cela, en l’absence d’un quelconque système de médiation », relève le professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, responsable de l’Interface science et société.

Alors que la sensibilisation des acteurs institutionnels a très peu avancé pour mettre en place une stratégie de développement de la culture scientifique, le professeur rêve de voir une loi élevant la culture scientifique au rang de priorité nationale « qui se traduirait dans les faits par une forte impulsion de l’État conjuguée à un engagement franc et massif des enseignants-chercheurs marocains. »

Des lendemains numériques

Le rôle et l’apport du numérique face aux échanges du savoir scientifique et de la culture scientifique sont appelés à croître. Aziz Bensalah pense d’ailleurs que le numérique est appelé à être l’outil privilégié de la médiation scientifique au Maroc.

 « Au centre de cet enjeu d’avenir figure la construction d’un “système de médiation à l’ère du numérique” qui tiendra compte des disparités sociales et de la différentiation entre le milieu urbain et le milieu rural », annonce-t-il. Pour lui, l’utilisation du numérique offrira avant tout la possibilité de mettre en place des projets de sciences participatives en rapport avec des intérêts ou des problématiques à différentes échelles (locale, régionale et nationale).

Le virage numérique pose toutefois quelques défis, relève la présidente du Comité des Fonds de recherche du Québec sur la science responsable, Michèle Stanton-Jean. « Pour moi, la science et ses connaissances devraient être universelles et perçues comme un bien commun. Le défi sera non seulement sa diffusion, mais aussi sa production par les pays en développement de contenus adaptés à leur culture et à leurs traditions pour en permettre une appropriation véritable », précise-t-elle.

Ancienne sous-ministre de la santé du Canada, actuellement chercheuse invitée au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, Mme Stanton-Jean s’interroge aussi sur les moyens mis en place pour garantir cette appropriation. La Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle (2005) a d’ailleurs préparé une nouvelle directive opérationnelle sur ce sujet. « Cette directive s’ajoutera à la Convention. Les États, la société civile et les scientifiques devront assurer son succès. Autrement nous risquons d’assister à des approches commerciales qui ne visent que l’enrichissement des plus riches », souligne celle qui a été également présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO durant l’élaboration et l’adoption de la Déclaration universelle du la bioéthique et les droits de l’Homme.

Pour le philosophe des sciences tchadien, Esaïe Yambaye, il revient d’abord aux scientifiques de faire savoir aux décideurs politiques la nécessité de la science et l’intérêt qu’il y a de partager des connaissances. « Les hommes politiques sont souvent occupés par d’autres impératifs. Il convient d’établir un pont entre les hommes de science et les hommes politiques sans lequel toute tentative de partage de connaissance restera vaine. Chez ces “acteurs des sciences”, les uns fourniront les moyens techniques et intellectuels et humains, les autres les moyens matériels, financiers et juridiques pour assurer la diffusion des connaissances ».

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