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Avec un total de 63 piétons tués, le bilan routier du Québec de 2016 s’est avéré particulièrement meurtrier : une hausse de 40 %, comparativement à 2015. Aux États-Unis, où le nombre de ces décès était également en hausse en 2016, des experts avancent une nouvelle cause pour expliquer ce phénomène : la distraction occasionnée par l’utilisation des téléphones cellulaires par les piétons. Un argument qui ne tient pas complètement la route…


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L’origine de la rumeur : 6000 morts aux États-Unis

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Dans son rapport Pedestrian Traffic Fatalities by State, l’organisme américain sans but lucratif Governors Highway Safety Association (GHSA) comptabilise une augmentation de 11 % de décès impliquant un cellulaire pour 2016, par rapport à 2015 — et souligne qu’il s’agit de l’augmentation la plus importante depuis 40 ans, toutes causes confondues.

Cette augmentation porterait à 6 000 le nombre de piétons américains tués en utilisant leurs cellulaires en 2016. Parmi les explications avancées par le GHSA, « l’augmentation de l’utilisation des téléphones intelligents par l’ensemble des usagers de la route, qui peut être une source de distraction significative tant pour les conducteurs que pour les piétons ». Selon Reuters, l’auteur de cette étude, Richard Retting, considère l’augmentation de décès des piétons comme étant largement attribuable à l’usage du cellulaire. D’après ce chercheur, bien qu’il soit statistiquement difficile d’écarter entièrement les autres causes, l’augmentation simultanée des décès et celle de l’usage des cellulaires suggéreraient ce lien.

Toujours chez nos voisins du Sud, cette distraction a aussi été pointée du doigt par le National Safety Council, un organisme sans but lucratif spécialisé dans la sensibilisation aux morts accidentelles et à la sécurité routière. En 2015, dans son rapport annuel Injury Facts qui compile les statistiques et les causes des décès et des blessures sur la route, l’organisme a choisi d’inclure pour la première fois les chiffres relatifs aux incidents dus à la distraction des piétons avec leurs cellulaires, tant le phénomène lui paraissait d’envergure. L’OSBL a répertorié 11 000 blessés pour ce type de distractions entre 2000 et 2011, ce qui en ferait une « menace significative pour la sécurité » et une « tendance alarmante ». En outre, même si les 40 ans et moins sont les plus touchés (54 %), ces accidents touchent toutes les catégories d’âge. Le nombre de blessés chez les 71 ans et plus est de 22 %, indique l’étude. Les chiffres de cette catégorie sont toutefois à prendre avec des pincettes, puisqu’ils incluent également les incidents qui surviennent par exemple, à la maison. Ceux-ci représenteraient d’ailleurs 52 % des cas répertoriés selon l’étude.

Un facteur signalé également au Québec

Dans son Profil détaillé des faits et des statistiques touchant les piétons paru en janvier 2017 — soit quelques mois avant la publication du bilan routier 2016 — la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) aborde la question de la distraction des piétons par le cellulaire. Rapportant les résultats d’une étude australienne menée en 2007, la SAAQ signale ainsi que près d’un piéton utilisateur de cellulaire sur cinq regarderait son téléphone en traversant à une intersection, et ce « la plupart du temps pour envoyer des messages textes. L’utilisation d’un cellulaire influençait aussi la vitesse de marche et l’analyse de la circulation avant de traverser », nous apprend la SAAQ dans cette recherche.

En outre, rapporte la SAAQ dans ce même document, une étude américaine de 2008 a montré que le pourcentage des piétons imprudents avoisinait les 48 % chez les utilisateurs de cellulaires, contre seulement 16 % chez les usagers de baladeurs, et 25 % chez ceux qui n’utilisaient aucun de ces deux appareils au moment de traverser.

À l’échelle du Canada, la question préoccupe également. D’après un sondage publié à l’automne 2016, la majorité des Canadiens se disent en effet favorables à l’interdiction du cellulaire pour les piétons.

La distraction du conducteur plus souvent en cause

Toutefois, il ressort aussi du rapport de la SAAQ que c’est la distraction générale, et non seulement celle attribuable au cellulaire, qui constitue la cause majeure de ces accidents : elle est la cause de 64 % des accidents ayant occasionné des dommages corporels au piéton entre 2011 et 2015, contre 10 % pour le non-respect du Code de la route et 5 % pour la consommation d’alcool ou de drogue. Et dans les deux tiers de ces cas de distraction, c’était le conducteur qui était fautif.

La question du vieillissement de la population

Il existe un autre facteur pouvant être mis en cause. En effet, dans le bilan routier du Québec de 2016, la SAAQ indique que la hausse des décès piétonniers est « principalement attribuable à une augmentation des décès chez les piétons âgés de 75 ans ou plus ». Une tranche d’âge qui n’est pas a priori parmi les plus accros au téléphone intelligent.

Alors que le vieillissement de la population qui touche le Québec est appelé à s’amplifier dans les années à venir, la question de la vulnérabilité des piétons les plus âgés se pose, écrit la chercheuse de l’INRS, Marie-Soleil Cloutier, dans son rapport de recherche Projet PARI Piétons âgés : risque et insécurité routière chez une population grandissante.

« Parmi l’ensemble des piétons, les personnes âgées présentent un niveau de vulnérabilité supérieur, maintes fois confirmé dans la littérature. En ce sens, les statistiques sont claires : les personnes de 65 ans et plus représentent jusqu’à 50 % de tous les piétons blessés dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE). Même constat du côté canadien et québécois où, déjà au début des années 2000, un rapport de Transport Canada (2009) compilant les accidents mortels impliquant un piéton entre 2004 et 2006, révélait que les personnes âgées représentaient plus du tiers des décès piétons au Canada, malgré qu’elles ne constituaient que 13 % de la population. Le premier rapport de la Table québécoise de la sécurité routière (TQSR) datant de 2007 confirme également cette vulnérabilité, les deux groupes d’âge les plus à risque d’être blessés gravement ou mortellement étant les 75 ans et plus et les 65-74 ans », fait valoir Mme Cloutier dans son rapport. 

Verdict : Si le piéton semble de plus en plus devenir un petextrian pour reprendre le néologisme anglophone décriant la dépendance des piétons (pedestrian) pour les textos —, l’augmentation des victimes ne semble toutefois pas pouvoir être attribuée à cette distraction. Le problème semble plus vaste et nécessite de poursuivre la sensibilisation en s’adressant à tous les usagers de la route.

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