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Il existe une quantité astronomique de mythes entourant la santé et Olivier Bernard, alias Le Pharmachien, s’en est fait une spécialité. D’abord à travers son blogue, puis ses livres (le troisième, La Bible des arguments qui n’ont pas d’allure, vient de paraître) et, depuis l’an dernier, à travers son émission Les Aventures du Pharmachien, sur Explora. En entrevue avec le Détecteur de rumeurs, il s’attaque à un mythe vieux de quelques millénaires, mais remis au goût du jour.

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Olivier Bernard, quel est le mythe que vous aimeriez déboulonner ?

L’idée selon laquelle l'intestin accumule des déchets et doit être nettoyé, sans quoi il commence à fonctionner moins bien. Plus précisément, on entend dire que les matières fécales peuvent s'entasser dans le côlon, se putréfier et s’incruster dans la muqueuse intestinale, créant ce que certains appellent la « plaque mucoïde ». Les conséquences sont censées être multiples : malabsorption des nutriments, maladies inflammatoires, infections parasitaires, troubles de santé mentale, accumulation de substances toxiques (ou « toxines ») qui nuisent à la santé, etc. Les traitements proposés incluent typiquement l’hydrothérapie (ou irrigation) du côlon, des lavements (parfois avec du café) et des cures à base de plantes médicinales.

Pour quelles raisons est-il important de rectifier cette information ?

D’une part, parce que cette croyance pousse les gens à chercher des soins et à acheter des produits dont ils n’ont pas besoin, ce qui génère de l’anxiété et des dépenses inutiles. D’autre part, parce que les soins et les produits en question peuvent poser un danger pour la santé, dont celui de retarder ou de freiner l’accès à des traitements médicaux réellement nécessaires.

Pourquoi ce mythe est-il aussi répandu, selon vous ? Sur quelle idée repose-t-il ?

L’idée de l’auto-intoxication par les excréments n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins à l’Égypte ancienne et était également présente dans la Grèce antique. Elle a même persisté jusqu’au début des années 1900 ! Mais à ce stade, les connaissances scientifiques quant au corps humain ont fait en sorte que la théorie ne tenait plus la route et elle a été rejetée par la communauté scientifique.

À mon avis, si l’idée persiste de nos jours, c’est qu’elle est perpétuée par les naturothérapeutes. D’ailleurs, le terme « plaque mucoïde » aurait été inventé par un naturopathe, Richard Anderson, qui commercialise une cure de nettoyage de l’intestin. De nombreuses célébrités ont également vanté de supposées vertus de l’irrigation du côlon et des lavements.

De plus, on a vu un intérêt populaire marqué pour tout ce qui concerne l’intestin ces dernières années : microbiote, aliments fermentés, le « deuxième cerveau » que serait notre intestin, etc. Cet intérêt joue forcément en faveur des adeptes de l’irrigation du côlon.

Que dit la science sur ce point ?

L’hydrothérapie du côlon se base sur des concepts non-existants en science. Plus d’une fois, on m’a demandé des « preuves » lorsque j’affirme que la plaque mucoïde n’existe pas. C’est un bel exemple de ce qu’on appelle le renversement du fardeau de la preuve. Ce n’est pas aux scientifiques, mais bien aux hygiénistes du côlon, de prouver que la fameuse plaque existe !

Si des déchets s’accumulaient vraiment dans l’intestin, ils pourraient aisément être observés par des médecins lors de colonoscopies ou de chirurgies de l’intestin. Or, rien de tel n’a été observé. Il y a évidemment plusieurs pathologies de l’intestin qui affectent la muqueuse intestinale (ex. colite ulcéreuse, maladie de Crohn, maladie coeliaque, cancers intestinaux), mais qui n’ont rien à voir avec les concepts proposés dans l’hydrothérapie.

D’ailleurs, le diamètre du côlon normal est de 4 à 6 centimètres. Si des substances s’y accumulaient « au fil des années », comme le prétendent les hygiénistes, l’intestin serait rapidement bouché, comme c’est le cas en présence d’impaction fécale ou fécalôme, c’est-à-dire un blocage intestinal par des excréments qui nécessite une intervention médicale et parfois même une chirurgie.

Certains hygiénistes du côlon demandent au patient d’avaler des produits naturels avant l’hydrothérapie, soit dans le but « d’inactiver les toxines » ou « d’aider la plaque mucoïde à décoller ». Ces produits peuvent inclure, par exemple, de la fibre de psyllium, de la gomme de guar et de l’argile de bentonite. Or, ce sont des substances qui deviennent gélatineuses au contact de l’eau. On peut donc présumer que les « déchets » évacués lors de l’irrigation ne sont pas des déchets, mais tout simplement les résidus des produits naturels consommés.

A-t-on des preuves de l’efficacité de l’irrigation du côlon ?

Il n’y a pas de preuves que l’irrigation du côlon ait un effet positif sur un quelconque problème de santé, pas plus que sur le microbiote intestinal. Au contraire, il est raisonnable de penser que « laver » l’intestin risque davantage de nuire à l’équilibre de la flore bactérienne. Notons que les « déchets » ou « toxines » qui sont censés être éliminés lors de l’hydrothérapie ne sont pas précisés. S’agit-il de produits secondaires du fonctionnement normal de notre organisme ? De polluants ? On l’ignore. Mais surtout, ces déchets ne sont-ils pas éliminés chaque jour quand nous allons aux toilettes ? Sans ces précisions, il est difficile de voir comment l’irrigation peut être pertinente.

Les risques associés au nettoyage de l’intestin sont nombreux. Des cas de perforation du côlon causant la mort ont été rapportés à la suite d’hydrothérapies, de même que des infections causées par des équipements mal stérilisés. Certains de ces cas ont mené à des décès. Il est à noter qu’aucune réglementation n’encadre de telles thérapies. Le Collège des médecins du Québec a d’ailleurs reçu plusieurs plaintes ces dernières années concernant l’irrigation du côlon. Pour ce qui est des cures à base de plantes médicinales, elles contiennent principalement des laxatifs, qui sont sujets à plusieurs précautions et contre-indications.

Votre verdict

L’idée selon laquelle l'intestin accumule des déchets et doit être nettoyé est en contradiction avec les connaissances scientifiques. Quant aux traitements proposés en ce sens, ils ne sont pas soutenus par des données probantes et tout porte à croire que leurs risques dépassent leurs bienfaits potentiels. Le seul moment où une vidange complète de l’intestin est nécessaire, c’est avant une colonoscopie ou une chirurgie, et encore là, tout ça se fait sous supervision médicale.

 

Propos recueillis par Ève Beaudin

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