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Asseoir à la même table les États-Unis et la Corée du Nord, c’est une chose. Mais s’assurer qu’un pays ait mis fin à son programme de fabrication d’armes nucléaires, c’est une autre paire de manches… Le Détecteur de rumeurs isole les grands enjeux.


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Quelles sont les étapes nécessaires pour se débarrasser de ses armes nucléaires ?

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Débarrasser un pays de ses armes nucléaires — ou de sa capacité à en fabriquer — est un travail de longue haleine. Il ne suffit pas d’éliminer les bombes. Il faut également cesser les essais, arrêter la production de plutonium ou d’uranium enrichi et envoyer des inspecteurs internationaux sur le terrain.

1- Éliminer les bombes
Une étape consiste à éliminer les bombes existantes. On pourrait par exemple imaginer que la Corée du Nord remette aux États-Unis, à la Chine ou à la Russie les 20 à 60 bombes qu’elle détient (selon les services de renseignement américains). Rien de tel n’est évidemment évoqué dans la Déclaration commune signée le 12 juin entre les présidents Trump et Kim.  

2- Mettre fin aux essais
Historiquement, tout pays qui s’est constitué un arsenal nucléaire a d’abord voulu les tester. Ces tests ont souvent été souterrains, par exemple dans une mine abandonnée. Annoncer qu’on met fin aux essais, comme l’a fait récemment la Corée du Nord, peut donc vouloir dire qu’elle n’a effectivement plus l’intention d’aller plus loin. Toutefois, cela peut aussi vouloir dire qu’elle considère ses armes à présent au point, et ne sent plus le besoin d’effectuer d’autres tests.

3- Mettre fin aux activités d’enrichissement et démanteler les centrifugeuses
Deux éléments chimiques peuvent servir à déclencher une explosion atomique : l’uranium et le plutonium. Bien que seul l’uranium existe dans la nature, il faut tout de même, dans son cas, passer par une étape appelée enrichissement. Cela consiste à « purifier » l’uranium pour n’en garder que l’élément chimique qui nous intéresse, soit l’uranium-235 : une seule bombe nucléaire nécessite environ six tonnes d’uranium dont on extraira environ 50 kilos d’uranium-235.

Cette opération se fait à l’aide de centrifugeuses, des appareils complexes dont la construction nécessite un personnel très spécialisé. Tant qu’un pays dispose d’uranium et de centrifugeuses, il peut recommencer son programme d’enrichissement. À noter toutefois que certains pays justifient le maintien des centrifugeuses parce que les activités d’enrichissement peuvent aussi servir à des fins médicales : c’est le cas en Iran.

4- Les inspections
C’est l’élément capital. En parallèle à toutes les étapes précédentes, il faut accepter que des inspecteurs internationaux se promènent librement pour s’assurer que le pays remplisse ses engagements. Il n’est nulle part question d’inspecteurs, dans la Déclaration Trump-Kim du 12 juin.  

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Selon une étude du Centre de sécurité internationale et de coopération de l’Université Stanford en Californie, l’élimination complète du programme de fabrication d’armes nucléaires coréen  pourrait s’échelonner sur 10 ans. Toutefois, dès la première année, plusieurs étapes pourraient être franchies dont la désactivation des réacteurs liés à la production de plutonium.

Se débarrasser de l’uranium est-il nécessaire ? Non

Puisque l’uranium existe à l’état naturel, c’est une étape du processus sur laquelle on n’a pas de contrôle. Un pays déterminé peut s’en procurer sur le marché noir. Et dans le cas de la Corée du Nord, elle en possède dans son sous-sol. On peut donc difficilement empêcher la circulation de l’uranium — d’autant qu’il peut servir à des fins médicales. Par contre, des inspecteurs qualifiés peuvent surveiller l’évolution des activités d’enrichissement.

Fermer le site d’essai nord-coréen est-il crucial ? Non

Le 24 mai, les autorités nord-coréennes ont fait s’effondrer les tunnels menant au site du mont Mantap, où ont eu lieu six tests nucléaires ces 12 dernières années. L’abandon de ce site est toutefois interprété de deux façons par les experts. Pour certains, cette étape pourrait signifier que les Nord-Coréens, possédant déjà une arme nucléaire satisfaisante, n’ont plus besoin d’effectuer d’essais. Les tunnels pourraient aussi être devenus inutilisables suite à des glissements de terrain.

À noter toutefois que même en l’absence d’inspecteurs internationaux dans le pays, une explosion atomique souterraine ne peut pas passer inaperçue : elle provoque des ondes sismiques qui seront inévitablement détectées à grande distance, par le réseau de sismographes du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. C’est ce réseau qui a permis de confirmer que la Corée du Nord avait bel et bien effectué ses tests nucléaires.

Peut-on poursuivre un programme clandestin sans que les inspecteurs ne s’en aperçoivent ? Ça dépend

Avec un nombre suffisant d’inspecteurs, et si ceux-ci ont un accès complet aux installations, c’est peu probable. Selon David A. Kay, un expert en nucléaire qui a mené la chasse aux armes en Iraq en 2003, ce sont plus de 300 inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui devraient être déployés en Corée du Nord. Encore doivent-ils avoir pleinement accès aux installations, ce qui s’avèrera difficile puisqu’on ne connaît pas l’étendue du programme nucléaire. Le pays compterait plus de 10 000 abris souterrains, selon cet expert sud-coréen. Les images satellites ne seraient d’aucune aide puisqu’elles ne pourraient les apercevoir si elles se trouvent à 50 mètres de profondeur.

Toutefois, si les inspecteurs ont accès aux sites, ils pourront détecter les produits radioactifs résultant de la fission nucléaire : ceux-ci restent détectables pendant plusieurs années.

Autrement dit, c’est le libre-accès aux sites qui est la clef d’une dénucléarisation réussie, comme ça s’est produit en Iran (qui n’avait toutefois pas encore enrichi suffisamment d’uranium pour fabriquer une bombe). Si un pays choisissait de poursuivre un programme clandestin — comme l’ont fait Israël, le Pakistan et l’Inde — il faudrait qu’il interdise les inspecteurs de l’AIEA sur son territoire, parce que l’uranium ou le plutonium laissent des traces relativement faciles à détecter.

La dernière inspection de l’AIEA en Corée du Nord remonte à plus de 10 ans. Depuis, personne ne sait comment a évolué l’énergie atomique dans le pays. Même si les autorités ont une liste d’endroits qu’ils soupçonnent d’être utilisés à des fins d’enrichissement, encore doivent-ils avoir l’autorisation d’y accéder. Ce sera la clef de toute future négociation.

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