Le microbe qui n'existait pas
(ASP) - Enterrés sous le plancher
des océans, dorment 10 mille milliards de tonnes
de méthane -soit deux fois la quantité
totale de combustibles fossiles, charbon, pétrole
et autres. Or, une molécule de méthane
est 25 fois plus résistante en tant que gaz à
effet de serre que nimporte quelle molécule
de dioxyde de carbone. Par conséquent, sous les
océans, dorment suffisamment de méthane
pour bouleverser tous les climats de la planète,
sils devaient séchapper dans latmosphère
-et on suppose que cela sest produit à
quelques reprises au cours des quatre derniers milliards
dannées.
Pas de quoi sinquiéter, puisquune
échappée de méthane ne se produit
pas tous les jours, mais tout de même juste assez
pour aller voir ce qui se passe là-dessous. Et
cest ainsi que des géochimistes ont pu
découvrir un microbe inattendu, tellement friand
de méthane quil en dévore 300 millions
de tonnes par année. Une quantité qui,
neut été de ce microbe, se serait
bel et bien échappée des océans,
et aurait atteint notre atmosphère -avec des
effets imprévisibles sur le climat.
Ce microbe est dautant plus inattendu,
écrivaient ces biologistes en juillet dans
la revue Science, quil semble appartenir
à une branche de lévolution inconnue
jusquici. William Reeburgh et ses collègues
de lUniversité de Californie à Irvine
létudient en réalité depuis
les années 70: mais il leur a fallu pratiquement
tout ce temps avant de pouvoir démontrer que
le méthane "disparu" et ce microbe
étaient liés.
Car au point de départ, la biologie
avait bien du mal à accepter lexistence
dun micro-organisme bouffeur de méthane,
dans un milieu où il ne peut pas compléter
sa diète avec de loxygène -car sans
oxygène, disaient les biologistes, cette bestiole
ne reçoit pas lénergie nécessaire
pour décomposer son méthane. Pour couronner
le tout, reconstituer lenvironnement de ce microbe
en laboratoire savérait pour ainsi dire
impossible, doù lattente de 30 ans
avant daboutir à cet article dans Science.
La conclusion, en fin de compte, est simple,
mais intriguante. Ces micro-organismes, bien que ressemblant
superficiellement aux bactéries, présentent
une structure connue uniquement dune branche distincte
de larbre de la vie : les archéen
(une branche distincte de la grande majorité
des espèces vivantes, les bactéries et
les humains y compris). Des analyses génétiques
allemandes ont confirmé ce fait lan dernier.
Où tout cela nous conduit-il ?
Au fait quune branche distincte, méconnue
de lévolution, qui fut peut-être
fondamentale il y a 4 milliards dannées
mais qui semble marginale aujourdhui, joue peut-être
un rôle fondamental dans léquilibre
de notre planète: en dévorant leurs 300
millions de tonnes de méthane annuellement, elles
rendent un sacré service à leurs lointains
cousins -bactéries et humains y compris. Cest
peut-être même à ces bestioles insolites
quon doit la diminution du taux de méthane
dans latmosphère il y a quelques milliards
dannées -diminution sans laquelle vous
ne seriez pas là en train pour lire cet article.