Le premier clone sera-t-il italien?
(suite)
(ASP) - C'était à prévoir,
les critiques se sont mises à pleuvoir sur les
trois scientifiques qui ont annoncé, ce mardi,
leur intention de réaliser le premier clonage
d'un humain (voir notre
manchette de cette semaine). Ils ne pouvaient pas
ne pas s'y attendre, au
point où plusieurs leur ont reproché d'avoir
recherché cette publicité.
L'annonce a été faite à
Washington dans le cadre d'un congrès de l'Académie
nationale des sciences qui portait, justement, sur le
clonage -et
qui n'avait jamais attiré autant de journalistes.
Congrès au cours duquel les spécialistes
mondiaux du clonage, dont le "père" de Dolly
lui-même, l'Ecossais Ian Wilmut, ont réitéré
leur opposition au clonage humain. La trentaine d'embryologues,
parmi les meilleurs de la planète, qui ont assisté
à la présentation du Dr Severino Antinori,
lui
ont réservé un accueil "glacial",
rapporte Libération.
L'opposition sévère, rappelons-le,
ne concerne toutefois que le clonage reproductif, et
non le clonage thérapeutique, et c'est en partie
de là que vient la confusion entretenue dans
le public. Le clonage reproductif, c'est la naissance
d'un bébé qui constitue la copie conforme
d'une autre personne -comme Dolly-la-brebis. C'est à
cela que s'opposent la grande majorité des scientifiques
-et c'est cela qu'assurent être sur le point d'accomplir
ces trois experts. Le clonage thérapeutique
en revanche, c'est la copie de cellules-souches, en
vue de les amener à produire des organes ou des
tissus, à des fins de greffes ou de transplantations.
Une technique encore à développer, mais
médicalement très prometteuse. Mais une
technique qui nécessite apparemment -il y a débat
là-dessus- des cellules d'embryons. En d'autres
termes, on ne clone pas véritablement un individu,
mais une poignée de cellules -si tant est que
l'on considère que la "vie" ne commence pas dès
le moment de la conception.
Le Dr
Severino Antinori, cet embryologiste italien qui,
à 55 ans, n'en
est pas à sa première controverse en médecine
de la reproduction, et son collègue américain,
le Dr Panos Zavos, spécialiste de la reproduction
à de l'Université du Kentucky, assurent
avoir déjà recruté 200 femmes incapables
d'avoir un enfant, et désireuses d'utiliser le
clonage pour y arriver. Leur "projet" devrait commencer
en novembre.
La troisième membre du trio est
encore plus étrange: il s'agit du Dr Brigitte
Boisselier, chimiste française mais surtout,
évêque de la secte raélienne, qui
avait déjà fait parler d'elle en mars
dernier, lors d'une audience du Congrès américain
sur le clonage (lire notre
texte, et celui-ci,
sur un laboratoire des Raéliens découvert
peu après). Les Raéliens ont mis sur pied
il y a deux ans une compagnie, Clonaid, avec pour but
de réaliser le premier clone humain, et plusieurs
femmes se sont là aussi portées volontaires
pour "porter" le futur bébé en question.
Les hauts cris qui ont accompagné
cette annonce, mardi, ont été dominés
par des avertissements de scientifiques qui ont rappelé
le taux d'échecs effarant de toutes les tentatives
de clonage depuis cinq ans. Juste pour arriver à
une Dolly bien portante, il a fallu plus de 270 tentatives.
Autrement dit, 270 femelles qui ont été
inséminées, dans certains cas ont porté
un embryon mais ont fait une fausse couche, et dans
quelques cas se sont rendues à terme, mais uniquement
pour accoucher d'une brebis mort-née. Selon toute
vraisemblance, le même scénario est voué
à se répéter chez ces 200 mères
recrutées par les deux médecins italiens.
Et c'est sans parler des clones qui sont bel et bien
nés, mais porteurs en nombre anormalement élevé
de malformations, ou dotés d'un poids anormal,
ou présentant des signes de vieillissement précoce
de leurs gènes.
Cette annonce "est comme un jeu dangereux
dont le but est de faire sensation; elle ne répond
à aucun besoin médical" a déclaré
depuis Moscou Vladimir Ivanov, directeur du Centre de
médecine et de science génétique
de l'Académie des sciences médicales de
Russie. "C'est inapproprié et les risques sont
injustifiés", a renchéri Alta Charo, professeur
d'éthique et droit médical à l'Université
du Wisconsin. "Le grand cirque des apprentis cloneurs",
a titré Libération, affublant,
comme d'autres, le Dr Antinori de l'épithète
de "Dr Frankenstein".
Mais au-delà de cette volée
de bois vert, une chose est devenue claire cette semaine:
les Dr Antinori et Boisselier qui, jusqu'à maintenant,
étaient considérés par une bonne
partie des scientifiques comme des hurluberlus peu dangereux,
ont démontré une fois pour toutes qu'ils
étaient toujours en piste, et bien décidés
à aller jusqu'au bout. Les signaux
d'alarme des deux dernières années
n'avaient pas eu beaucoup d'effets; cette fois, au contraire,
on les prend au sérieux. Tant qu'ils auront sous
la main des femmes prêtes à servir de cobayes
-et les Raéliens, ferveur religieuse aidant,
n'en manqueront pas- ils continueront.
Si ça vous donne froid dans le
dos, vous n'avez encore rien vu