Méli-mélo d'experts
(ASP) - Y aura-t-il 400, 6000 ou 136 000
morts ? Lincertitude est à ce point, quand
on essaie de prévoir ce que sera lampleur
de lépidémie de Creutzfeldt-Jakob
due à la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne,
en France et en Europe.
Le décompte est morbide mais nécessaire
: depuis 1996, année du début de la crise
de la vache folle, la plupart des débats de santé
publique reposent justement sur ce type de décompte.
Et en la matière, les évaluations des
scientifiques, souvent contradictoires, se sont succédé
et ont chaque fois fait les gros titres des journaux.
Lune en particulier, lan dernier, très
alarmiste, prévoyait jusquà 136
000 cas rien quen Grande-Bretagne.
La dernière
recherche en date a été publiée
dans Science le 23 novembre. Cette étude
française se base sur les 97 cas britanniques
avérés ou probables au 1er mai 2001 (aucun
diagnostic ne peut être établi avec certitude
avant lautopsie et donc le décès
du patient, mais jusquici, tous les cas probables
ont été avérés). Elle ne
prévoit plus quentre 200 et 400 cas au
maximum en Grande-Bretagne. En outre, le pic de lépidémie
serait déjà derrière nous: il aurait
eu lieu dans les années 2000 et 2001.
Les chercheurs ont basé leur évaluation
en supposant lexistence dune barrière
despèces entre bovins et êtres humains
bien plus forte que dans les études précédentes.
Autrement dit, selon eux, les risques sont très
faibles pour quun prion bovin anormal ne contamine
un prion humain. De " majeure ", lépidémie
du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
deviendrait donc presque bénigne.
Soulagés ? Peut-être
pas, car la polémique nest pas terminée.
Le 6 décembre, Gérard Pascal, président
du conseil scientifique de lAFSSA, lAgence
française de sécurité sanitaire
des aliments et éminent expert des questions
de vache folle, annonce dans un entretien accordé
au quotidien régional la Dépêche
du Midi, que "lenquête qui [lui] apparaît
[comme] la plus crédible a été
réalisée à partir des données
anglaises sur la base de 6000 cas en Grande-Bretagne"
-soit
au moins 15 fois plus que dans l'étude de Science.
Et il ajoute: "puisque lépidémie
est 20 fois plus importante (en Grande-Bretagne) que
chez nous, on peut évaluer à 300 [en France]
le nombre de personnes qui pourraient décéder
de la variante humaine de la maladie de la vache folle".
Alors, 400, 6000 ou 136 000 morts en Grande-Bretagne
? On navigue en plein brouillard. Sil est un point,
tout de même, sur lequel les experts saccordent,
cest sur la quantité de viande contaminée
et passée dans la chaîne alimentaire humaine.
Dans Science, les chercheurs français
affirment que "virtuellement, tous les habitants de
Grande-Bretagne ont consommé de la viande infectée".
De son côté, Gérard Pascal estime
dans la Dépêche du Midi que "lon
a consommé [en France] des centaines, voire des
milliers danimaux en phase dincubation".
Soulagés, vraiment ? Les consommateurs européens
qui préfèrent miser sur loptimisme
peuvent toujours choisir de sen remettre à
lhypothèse de la barrière entre
les espèces...
Isabelle Cuchet