Journalisme jaune ou vert
(ASP) - Controverse dans le monde du journalisme
environnemental américain. Un journaliste et
chroniqueur-vedette de la télé, John Stossel,
a rencontré le printemps dernier des profs, des
parents et des élèves, dans des écoles
où sont donnés des cours d'écologie,
en prétendant faire un reportage sur la Journée
de la Terre. En réalité, il préparait
un reportage sur ce qu'il avait déjà décidé
d'appeler la "propagande verte", que ces profs insuffleraient
soi-disant à leurs élèves.
Le reportage, diffusé au réseau
ABC, a déclenché une tempête de
protestations parmi les journalistes spécialisés,
protestations qui ont à leur tour fait monter
aux barricades les défenseurs de Stossel. John
Stossel, en plus d'être souvent associé
à des émissions spéciales d'information
d'une heure au réseau ABC, sur des thématiques
économiques ou sociales, est également
connu pour ses chroniques dans le cadre de la prestigieuse
émission d'affaires publiques du réseau
ABC, 20/20, où il se range résolument
parmi le courant le plus conservateur de la politique
américaine.
Ce qui est reproché à Stossel:
en tout premier lieu, un manque d'éthique journalistique.
Lui et ses collaborateurs ont contacté profs
et parents sous un faux prétexte, en l'occurrence,
la Journée de la Terre. Mais il y a pire, a dénoncé
cet été Sheldon Rampton, auteur et journaliste,
spécialisé dans la dénonciation
des tactiques douteuses de certaines firmes de relations
publiques:"javais commencé à
entendre parler de ce reportage en avril, lorsquun
groupe de pression de lindustrie des pesticides
avait fait circuler un mémo" auprès
de ses membres, leur demandant un coup de main. Le réalisateur
de lémission de John Stossel, disait le
mémo, était à la recherche "dexemples
denfants à qui on a fait subir la "peur
verte" dans des écoles qui enseignent lenvironnementalisme
apocalyptique (doomsday environmentalism) "
(lire le
mémo).
Mais en dépit du fait que ces gens
de l'industrie, eux, semblaient très bien informés
sur les véritables objectifs du reportage, les
enseignants qui furent approchés par le réalisateur
dABC, eux, se firent bel et bien dire que le reportage
porterait sur la Journée de la Terre, et rien
dautre. Même un enseignant qui avait pris
connaissance du mémo incriminant et qui voulait
savoir à quoi s'en tenir s'est fait servir la
même réponse par le réalisateur
de l'émission.
Résultat: non seulement certains
enseignants ont-ils limpression davoir été
piégés, mais ils ont le sentiment que
les enfants eux-mêmes ont été piégés.
Selon le
témoignage d'un de ces enseignants qui a
assisté à l'enregistrement d'une rencontre
entre Stossel et une dizaine d'enfants de 7 à
10 ans, "il (John Stossel) leur disait, "Wow, ça
fait vraiment peur, n'est-ce pas?" Et les enfants n'étaient
pas effrayés du tout, et ils ne faisaient que
le regarder. Il a posé cette question plusieurs
fois", jusqu'à ce qu'il obtienne les réactions
qu'il voulait. Un groupe de parents a réclamé
que les extraits concernant leurs enfants soient retirés
du reportage (lire la
protestation), ce qui fut fait.
À la suite de l'émission,
baptisée "Tampering with Nature" (Altérer
la nature) diffusée le 29 juin, le réseau
ABC a publié un communiqué où il
défend lintégrité de son
journaliste et affirme que les entrevues avec les enfants
"ont été menées de manière
respectueuse et sensible".
Ce nest pas la première fois
que Stossel se retrouve sur la sellette. Un groupe de
pression écologique, le Environmental Working
Group, qui a coordonné la réaction des
parents, entretient un
dossier sur ce journaliste, en particulier depuis
la diffusion d'un reportage, en février 2000,
sur les aliments "bio", accusés de n'être
ni plus sécuritaires ni meilleurs pour la santé
que les autres.
Dans un message publié sur la liste
électronique de la National Association of Science
Writers, Sheldon Rampton renchérit en pointant
du doigt plusieurs apparences de conflits dintérêt:
John Stossel "ramasse beaucoup dargent comme
conférencier pour plusieurs associations du milieu
industriel, où il flatte invariablement les commanditaires
corporatifs et tape sur les environnementalistes et
les groupes de consommateurs. ABC a aussi une entente
commerciale avec le très conservateur Fonds Palmer
R. Chitester, qui vend du matériel éducatif,
basé sur les émissions de Stossel, à
travers un programme appelé "Stossel dans
la salle de cours"." Le magazine Salon.com
sétait déjà intéressé
à ce programme éducatif lan dernier.
Sous le titre dévastateur "Prime
Time Propagandist", le magazine concluait que Stossel
était davantage "un propagandiste de droite"
déguisé sous le manteau d'un journaliste
d'enquête.