Le secrétaire général
des Nations Unies avait annoncé il
y a quelques semaines la création
dun Fonds spécial daide à
la lutte contre le sida, mais encore fallait-il
que les pays riches y contribuent. Depuis la
semaine dernière, cest chose faite:
profitant du 20e anniversaire
du début de lépidémie
mondiale, la France a annoncé le versement
dune somme importante 150 millions
deuros sur trois ans- à ce Fonds.
Les Etats-Unis ont déjà promis
200 millions$.
Mais largent nest
pas tout. LAfrique doit aussi saider
elle-même. Le message est venu la semaine
dernière, en même temps, de deux
sources aussi éloignées lune
de lautre quil est possible de lêtre:
le secrétaire dEtat américain
Colin Powell, et léditorialiste
invité de la très rigoureuse revue
Science.
Le secrétaire d'Etat a
dit, dans le cadre d'une tournée de quatre
pays africains (Mali, Afrique du Sud, Kenya,
Ouganda) que les Africains ne doivent pas "s'asseoir
en attendant que l'argent arrive". Ils doivent
aussi prendre des mesures, autant pour faire
la paix entre eux -allusion aux guerres civiles-
que pour se débarrasser de dirigeants
corrompus, deux facteurs qui grugent de précieuses
ressources qui pourraient être consacrées
-par exemple- à la recherche scientifique
et à la sensibilisation des populations
face à ce qu'est vraiment le sida. Des
paroles qui lui ont aussitôt été
reprochées, puisque, lui a souligné
le journaliste du réseau PanAfrica, ces
200 millions$ daide annoncés apparaissent
bien pâles en
comparaison des... 2 milliards$ quavait
évoqué le président Clinton
lan dernier.
Mais l'éditorialiste de
la revue Science a frappé plus
juste en soulignant que lAfrique pouvait
effectivement faire son bout de chemin, dans
le domaine scientifique: dans les années
60 et 70, commence-t-il, les départements
de science de plusieurs universités africaines,
incluant l'Université de Lagos (Nigéria),
celles de Dar-es-Salaam (Tanzanie), d'Accra
(Ghana) et de Khartoum (Soudan), étaient
parmi les plus avancées des pays en voie
de développement. Aujourd'hui, la litanie
de problèmes est telle qu'elles ne peuvent
même plus remplir leurs responsabilités
les plus minimales. Avec des conséquences
sur la société tout entière:
"plusieurs des problèmes les plus sérieux
du continent, incluant la malnutrition, les
épidémies et le déclin
environnemental, ne peuvent pas être affrontés
sans une masse critique de scientifiques africains".
Il ne s'agit pas d'être
utopistes, ajoute Mohamed H.A. Hassan, président
de l'Académie africaine des sciences
et directeur de la Troisième Académie
mondiale des sciences à Trieste (Italie):
"la science, à elle seule, ne peut
pas sauver l'Afrique. Mais l'Afrique sans la
science ne peut pas être sauvée."
Et là-dessus, toute l'aide
étrangère n'y peut rien si les
politiciens locaux se désintéressent
de la science ou lui mettent des bâtons
dans les roues, comme on
l'a vu l'an dernier lorsque le président
Thabko Mbeki a publiquement nié l'association
entre le virus appelé VIH et le sida
-et par conséquent, a nié la nécessité
d'investir pour distribuer les médicaments
anti-VIH aux malades, notamment aux femmes enceintes.
Au cours des années 60 et 70, c'étaient
les gouvernements qui décidaient d'importants
investissements en science et technologie dans
leurs universités et qui insistaient
sur l'importance de créer un réseau
d'enseignement et de recherche de qualité.
"Des années d'instabilité politique
et de problèmes socio-économiques
chroniques ont transformé des universités
de plus en plus négligées en institutions
désuètes."
Une des conséquences, on
l'a vu, c'est que lorsqu'un
petit sidéen sud-africain de 12 ans,
Nkosi Johnson, monte sur une tribune pour
dénoncer l'intolérance face à
cette maladie, il est accueilli comme un héros,
parce que la sensibilisation à ce sujet
avoisine parfois le zéro absolu. A lui
seul, Nkosi Johnson, résumait la BBC
au lendemain de son décès, le
31 mai, a
fait davantage pour faire progresser la cause
du sida en Afrique du Sud et pour abattre les
préjugés que tous les médecins
locaux et toutes les campagnes étrangères
réunies, depuis deux décennies.
Certes, reprend Mohamed Hassan,
le niveau de dégradation de la science
africaine est tel qu'elle a un besoin criant
d'aide financière étrangère.
Ne serait-ce que pour obliger les compagnies
pharmaceutiques à
abaisser les prix de leurs médicaments,
qui demeurent à un niveau inatteignable
pour la majorité de ces populations (voir
à ce sujet David
a fait trébucher Goliath).
Mais la science africaine ne part
pas de rien: elle abrite des forces méconnues
au Nord. Les Laboratoires d'immunologie et de
biotechnologie du Cameroun, le Centre africain
des applications météorologiques
au Niger, et le Centre africain de technologie
au Sénégal, pourraient devenir
"des centres internationaux d'excellence", et
fonctionner encore plus efficacement que maintenant,
si on leur donnait un tout petit coup de pouce.
"Le développement de marqueurs génétiques
pour améliorer les plantations de thé
au Kenya, les efforts en cours pour examiner
des traitements alternatifs à la cécité
des rivières en Ouganda, la recherche
sur l'hématie falciforme au Ghana et
l'étude de l'utilisation de plantes indigènes
pour le traitement du diabète à
Madagascar, sont des exemples d'initiatives
scientifiques africaines qui méritent
une reconnaissance publique plus large."
Autrement élément
non-négligeable: les experts estiment
que 30 000 détenteurs d'un doctorat,
dans les pays du Nord, sont d'origine africaine
un chiffre de loin supérieur au nombre
de détenteurs d'un doctorat qui travaillent
dans toute l'Afrique!