La
semaine en question,
cest celles
des négociations
sur des tas de sujets
incompréhensibles
au profane, qui
sont actuellement
en cours dans ce
petit état
arabe appelé
le Qatar. Lenjeu
de ces négociations,
c'est le commerce
international, et
plus précisément
une ouverture plus
grande des frontières
aux produits et
services, doù
quils viennent
dans le monde. Mais
parmi ces enjeux,
il en est un
qui apparaît
quelque peu hors-norme,
que les pays du
Sud souhaiteraient
voir à lavant-scène
mais qui embarrasse
considérablement
ceux du Nord :
les médicaments.
Enjeu
sensible, parce
que de
son avenir dépend
la santé
de centaines de
millions de personnes.
Voire, la différence
entre la vie et
la mort. Un pays,
comme la Zambie,
dont la population
est décimée
par le sida, peut-il
financer un fabricant
de chez lui pour
fabriquer une copie
moins chère
du médicament
anti-sida, sans
se faire poursuivre
par le fabricant
du médicament
original, pour violation
du droit dauteur?
Et que dire de la
tuberculose et de
la malaria, qui
tuent elles aussi
beaucoup plus au
Sud quau Nord,
et à propos
desquelles bien
des vies pourraient
être sauvées
si les médicaments
qui existent-
étaient moins
coûteux ?
Or,
si les pays du Sud
partent perdant
cette semaine, cest
parce que les enjeux
de cette conférence
interministérielle
de lOrganisation
mondiale du commerce
(OMC), à
Doha, au Qatar,
se déroulent
sur un tout autre
plan : on y
parle nouveau cycle
de négociations
commerciales, investissements,
concurrence... Donner
lautorisation
à un pays
dutiliser
des fonds publics
pour fabriquer un
médicament
moins cher, et de
ce fait, limiter
au médicament
original laccès
au marché
de ce pays, entre
en contradiction
flagrante avec ce
pour quoi 142 pays
se sont réunis
au Qatar -ou à
Seattle, il y a
deux ans. Au royaume
du libre-marché,
le petit David na
aucune chance contre
le géant
Goliath.
Mais
à long terme,
les pays du Sud
ont beaucoup plus
datouts dans
leur manche. Si
lOMC a créé
un groupe de travail
sur les brevets
pharmaceutiques,
et si les médias
ont parlé
de ce comité
pourtant modeste,
cest parce
que depuis deux
ans, lindignation
internationale a
atteint un sommet.
Lhiver
dernier, les
compagnies pharmaceutiques
ont dû abandonner
leurs poursuites
judiciaires contre
lAfrique du
Sud, quand elles
se sont aperçues
de limage
désastreuse
que cela leur donnait :
24 des 30 millions
de sidéens
sont en Afrique;
la quasi-totalité
sont incapables
de se procurer les
médicaments
éprouvés,
comme lAZT,
parce quils
sont hors de prix;
lAfrique du
Sud a donc décidé
dimporter
et produire chez
elle des copies
de ces médicaments
(quon appelle
des médicaments
génétiques),
moins chers, mais
tout aussi efficaces.
La
décision
sud-africaine relevait
du bon sens :
avec un médicament
anti-sida officiel,
la facture pour
un patient peut
sélever
à plus de
10 000$ US par an;
avec une copie,
200$ par an.
Or,
39 multinationales
pharmaceutiques
ont décidé
de contester en
cour la loi sud-africaine
de 1997 autorisant
limportation
ou la production
de ces médicaments
génériques.
Commencé
le 5 mars, le procès
avait été
ajourné pendant
six semaines, puis
avait repris le
18 avril... juste
pour que les compagnies
annoncent au juge
le retrait de leur
plainte. Parce que
pendant ces six
semaines, ces compagnies
(la britannique
Glaxo-SmithKline,
les américaines
Bristol-Meyers Squibb
et Merck, la suisse
Roche, lallemande
Boehringer Ingelheim,
la française
Aventis, etc.) avaient
pris la mesure de
la colère
internationale face
à leur poursuite
(lire David
a fait trébucher
Goliath).
Une
victoire pour l'Afrique
du Sud, ont proclamé
les journaux. Mais
une victoire pour
l'Afrique tout entière.
Et pour le reste
de la planète.
Deux mois plus tard,
en juin, les Etats-Unis
annonçaient
quils retiraient
à leur tour
leurs poursuites
contre le Brésil,
lui aussi engagé
dans la production
de médicaments
génériques
(lire ce
texte).
Les
compagnies pharmaceutiques,
elles, nont
pas encore baissé
pavillon devant
le Brésil,
et des négociations
se poursuivent en
coulisses (lire
ce
texte).
Autant
le Brésil
que lAfrique
du Sud savent quils
violent les ententes
internationales
sur le commerce
en favorisant ainsi
la production de
ces médicaments
puisque ce faisant,
ils empêchent
lentrée
sur leur territoire
dun produit.
Or, toute la philosophie
de lOMC, à
lheure de
la mondialisation,
repose sur louverture
totale et sans restrictions
des pays à
tous les produits
commerciaux, doù
quils viennent.
Ce ne sont évidemment
pas
les compagnies pharmaceutiques
qui souhaiteraient
que les médicaments
fassent exception.
Incidemment,
la crise de lanthrax,
qui a vu les Etats-Unis
et le Canada prendre
des mesures pour
acheter des copies
génériques,
donc à bas
prix, du fameux
Cipro, a
mis les dirigeants
de ces pays dans
lembarras,
face aux géants
pharmaceutiques
quils défendaient
jusqualors...
Un
compromis sera tôt
ou tard signé,
par lequel ces compagnies
accepteront quun
pays ait accès
à des médicaments
génériques
"dans des situations
durgence".
Mais la définition
de ce qui est une
urgence risque doccuper
les négociateurs
pendant des années
encore. Et en attendant,
on a accepté
de repousser de
2006 à 2016
la date à
laquelle les 49
pays les plus pauvres
devront se conformer
à laccord
TRIPS (en français,
ADPIC), sur les
droits de propriété
intellectuelle.
Pendant tout ce
temps, la brèche
ouverte lhiver
dernier en Afrique
du Sud sélargira
de plus en plus :
après le
sida, la tuberculose
et la malaria. Après
le Brésil,
la Thaïlande
et lInde...
et son milliard
dhabitants...