Ce que cela signifie,
cest que quiconque sest
servi de cette bactérie
pour lenvoyer par la poste,
la
fort probablement recueillie
sur le territoire américain.
Il a pu la prélever sur
un animal malade, lacquérir
dune compagnie de produits
biologiques ou même dune
école de médecine
vétérinaire. Mais
il est très improbable
quil sagisse dune
variété "cultivée"
dans un laboratoire étranger.
Car lanthrax
est une bactérie, est-il
besoin de le rappeler. De son
véritable nom, en français,
bactérie du charbon.
Et comme toutes les bactéries,
elle se divise, aux quatre coins
du monde, en plusieurs souches
ou "familles". Or,
il se trouve que celle qui a
dores et déjà
tué un homme en Floride,
en plus den contaminer
une demi-douzaine dautres
là-bas, et une femme
à New York, et peut-être
dautres personnes ailleurs
(dont au Nevada), appartient
à la souche "Ames",
une variété quon
na jamais vue à
létat naturel en-dehors
de lAmérique du
Nord.
Evidemment, cela
ne permet pas de lier ces attaques
à quelque mouvement terroriste
que ce soit. Mais la liste de
plus en plus longue des personnes
touchées et le moyen
de propagation le courrier-
a permis déliminer
dès le premier jour une
propagation accidentelle.
Cela fait donc
de la première victime,
Robert Stevens, 73 ans, ce directeur
photo du tabloïd floridien
The Sun, la
première victime de lHistoire
causée par une attaque
délibérée
à lanthrax.
On a en effet
tendance à loublier,
mais sil y a eu plusieurs
tentatives donc celles,
avortées, de la secte
japonaise Aoum, qui a préféré
se rabattre, en 1995, sur le
gaz sarin- jamais une attaque
à lanthrax nest
parvenue à faire de victimes.
Depuis le début
du siècle (lire Un
siècle de bioterrorisme),
aussi bien la Grande-Bretagne
que lUnion Soviétique
et lIraq ont certes travaillé
dur pour créer une arme
biologique à base danthrax.
Au moins 64 personnes en sont
même mortes en 1979, à
Sverdlovsk, en Russie; mais
il sagissait alors dune
fuite accidentelle, qui a contaminé
la population locale, et non
un quelconque ennemi. Nulle
part na-t-on pu trouver
de traces dune attaque
délibérée
utilisant cette arme.
Et il y a une
raison à cela: cest
que dun point de vue de
militaire, ou même de
terroriste, comme arme, lanthrax
nest franchement pas efficace.
Comme nous lécrivions
la semaine dernière (lire
Comment
se procurer de l'anthrax),
une fois quon est parvenu
à se procurer de lanthrax,
on n'est pas au bout de ses
peines. Encore faut-il avoir
sous la main une souche virulente :
certaines sont en effet dangereuses,
dautres beaucoup moins.
Et une fois quon
a sous la main une souche virulente,
encore faut-il la garder en
vie : cela signifie un
laboratoire équipé
de la technologie de pointe,
allant du contrôle de
la température jusquau
suivi de la croissance et de
la multiplication de notre culture
bactérienne. Et pas seulement
sa croissance en éprouvette :
il faudra tester sa virulence
sur des souris, des hamsters,
des lapins, des chiens. Cest
seulement si ça fonctionne
à toutes ces étapes
que notre terroriste pourra
raisonnablement espérer
que la souche quil a sous
la main pourra aussi contaminer
les humains.
Si on décide
de sauter cette étape,
et de lutiliser tout de
suite, rien ne garantit quelle
survivra au voyage et aux changements
denvironnement quil
implique. Et quand bien même
y survivrait-elle, une fois
relâchée dans la
nature (par exemple, vaporisée
depuis un aérosol...
ou placée dans une enveloppe),
certaines des bactéries
mourront tout de suite, parce
quelles nauront
pas trouvé assez vite
un hôte (humain ou animal).
Ou parce quelles en auront
trouvé un, mais nauront
réussi à lattaquer
que de façon superficielle
(par exemple, en provoquant
une infection de peau, plutôt
quune infection pulmonaire,
seul cas où la vie de
la personne devient très
sérieusement menacée).
Bref, on ne fait
pas mûrir une colonie
danthrax dans le fond
de son garage
ou de sa
caverne d'Afghanistan. Cest
une tâche de très
longue haleine, nécessitant
des experts scientifiques de
haut niveau, un équipement
technologique de pointe, de
largent, et beaucoup de
patience.
A moins que lintention
ne soit de créer plus
simplement une psychose chez
lennemi... Si tel est
lintention, le moins quon
puisse dire, cest que
ça marche. Sur trois
continents, on discute désormais
des défenses actuellement
en place contre le bioterrorismse
(après tout, il y a déjà
cinq ans quon en parle).
Et surtout, des trous dans ces
défenses : selon
une étude publiée
la semaine dernière par
un comité dexperts
britanniques, lUnion européenne
"nest
pas adéquatement préparée
à faire face à
lémergence dépidémies
à grande échelle"
comme la grippe, un empoisonnement
à la salmonelle ou la
maladie du légionnaire.
Dans un des pays étudiés
par exemple, le système
de surveillance a échoué
dans six cas sur 10. Dans un
autre, jusquà 10%
des cas de méningocoques
nont pas été
rapportés. Létude,
publiée dans le British
Medical Journal, a été
menée bien avant les
événements du
11 septembre.
En France, on
a réactivé en
fin de semaine le plan Biotox,
plan de lutte contre le bioterrorisme
mis au point en 1999. Budget :
environ 400 millions de francs,
selon Libération.
On y apprend au passage que
la France dispose dune
réserve de 5 millions
de doses du vaccin contre la
variole, une maladie éradiquée
depuis des décennies,
mais que toutes les alertes
au bioterrorisme, depuis cinq
ans, mentionnent avec un brin
deffroi.
Même à
lautre bout du monde,
lAustralie a été
touchée par la psychose :
lundi, le 15 octobre, des édifices
à Melbourne, à
Canberra et à Brisbane,
abritant entre autres des consulats
américain et britannique,
ont été évacués,
après
quon eut reçu des
lettres qualifiées de
"suspectes".
Mais cest
aux États-Unis que la
psychose frise la panique. Même
le secrétaire à
la Santé a
lâché, en fin de
semaine, lépithète
"terrorisme" alors
quil faisait le point
sur les victimes de lanthrax.
Et voilà quon apprenait
que la femme du rédacteur
en chef du Sun de Floride
avait loué un appartement
à deux des terroristes
du 11 septembre... Les hôpitaux
sont débordés
de demandes dantibiotiques.
Et la Maison-Blanche, révélait
le New York Times, a
débloqué des budgets
pour
entreposer 10 millions de doses
supplémentaires de cet
antibiotique (le Cipro)
efficace face à lanthrax
contre les 2 millions
de doses actuellement disponibles
sur le territoire.
Et ce nest
pas tout : le gouvernement
a également ordonné
la production, dici deux
ans, de 40 millions de doses
dun nouveau vaccin contre
la variole.
Psychose, panique,
courriers suspects, poudres
volatiles... Le travail déducation,
seule arme capable de faire
diminuer la haine, à
long terme, est vraiment
repoussé à
une date indéterminée...