Si on se contente de
lire les reportages sur les
fêtes ayant entouré, en Russie et dans
le reste du monde, le
40e
anniversaire de ce premier lancement,
la question est complètement oubliée.
Mais dès quon creuse un peu plus, on sent
poindre linquiétude. Ou lembarras.
Par exemple, avons-nous
vraiment besoin denvoyer des hommes dans lespace ?
Des robots, sans nul doute, mais des êtres humains ?
Le service spécialisé Space.com
parle
à ce sujet du "facteur humain",
ce facteur jadis moteur,
aujourdhui frein: le vol de Vostok I cette
capsule sphérique qui envoya là-haut Gagarine,
le 12 avril 1961, pendant à peine une heure et
demi- marqua indubitablement un moment historique. Tout
comme les premiers pas sur la Lune, en 1969. Mais en
notre début du XXIe siècle, la possibilité,
à court et moyen terme, de voir des humains voyager
au-delà des 400 km daltitude de la station
spatiale internationale appartient davantage à
la fiction quà la réalité.
Et même la station
spatiale ne génère pas un enthousiasme
monstre. Pour linstant, on en parle davantage
comme dun édifice à assembler et
à gérer, que comme un instrument de découverte.
Que sest-il passé ?
Certes, il y a le cas de la science spatiale russe,
ou
de ce qui en reste. Et il y a la Nasa, qui est "de
toute évidence inquiète de son avenir",
et en conséquence "les idées visionnaires
sont reléguées en orbite stationnaire".
Ce en quoi il est difficile de jeter le blâme:
la facture totale du méga-projet qu'est la station
spatiale internationale, dépasse maintenant les
100 milliards, soit... douze à treize fois plus
que ce qui avait été imaginé il
y a une décennie. Le projet lui-même a
une bonne décennie de retard par rapport aux
plans mis sur papier il y a 20 ans.
"Très clairement,
résume pour Space.com le directeur des
vols spatiaux de la Nasa, Joseph Rothenberg, lun
des plus grands défis du vol habité est
de gérer des programmes sans trop dépasser
les coûts prévus." Les dépassements
de coûts, incidemment, cest ce qui a conduit
lagence spatiale américaine à se
faire très souvent taper sur les doigts, autant
avec la station quavec, bien avant elle, la navette
spatiale: quon se rappelle que, lors de sa conception,
dans les années 70, la navette devait, disait-on,
réduire de 90% les coûts de lancement...
et effectuer un vol par semaine! "Nous devons sortir
du banc des punitions et restaurer notre crédibilité
au cours des prochaines années, avant de pouvoir
faire le pas suivant."
Et cette vision-là,
en serez-vous étonné, cest la vision
optimiste! La vision pessimiste, résume le journaliste
Claude Lafleur dans ses Dossiers espace, cest
plutôt que la station spatiale, avec tous ses
déboires, pourrait
entraîner la fin des vols habités tels
que nous les avons connus!
Ce qui est certain,
cest que le dernier projet denvergure remonte
à 12 ans, et que plus personne ne lévoque:
l"Human Exploration Initiative", annoncé
en 1989 par le président Bush (père).
Il sagissait de réaliser lun des
vieux rêves de lhumanité: fouler
le sol de Mars. Ce projet devait en effet mener des
hommes sur la planète rouge en 2019, soit 50
ans après les premiers pas dArmstrong sur
la Lune. À cette fin, le président américain
préconisait un vaste programme de développements
technologiques et dexploration devant sétendre
sur trois décennies.
Depuis, ni Bush père
ni Clinton nont osé se risquer à
sembarquer dans un nouveau projet spatial. Les
Russes quant à eux, utilisent toujours le même
modèle de lanceur que la fusée qui a propulsé
Gagarine en orbite il y a 40 ans!
Or, une partie du problème
est justement là : on semble avoir atteint
les limites de ce qui est humainement possible avec
la technologie actuelle. Ce ne sont pas des fusées
comme les Apollo du programme lunaire, qui vont permettre
denvoyer des humains sur Mars. Ce ne sont pas
non plus des engins munis de moteurs à propulsion
chimique la technologie employée aussi
bien avec la navette quavec les fusées
des années 50. Alors quoi? La Nasa semble régulièrement
embarrassée
quand on pose la question "à quand un homme
sur Mars", ce qui revient à dire quelle
nen a aucune idée.
Pour Rothenberg, il
faudra envisager des lancements depuis lorbite,
ce qui implique quelque chose de déjà
plus avancé que la station spatiale actuelle
pour accueillir les "voyageurs en transit".
Peut-être, par exemple, cela pourrait-il prendre
la forme dune gigantesque station spatiale, mais
"gonflable" -ça coûte moins cher
à construire- et gonflée à plus
dun million de kilomètres de la Terre ce
qui en fait un bon lieu damarrage pour un télescope
spatial géant, et un point de départ plus
pratique vers Mars, vers les astéroïdes,
voire plus loin encore. Ces vaisseaux interplanétaires
devraient idéalement être équipés
de moteurs ioniques, comme la sonde automatique Deep
Space One en expérimente un actuellement, mais
il faudra encore des années avant de savoir si
cette technologie est viable. Tout comme il faudra encore
des années avant de savoir si on na pas
sous-estimé la question psychologique, lorsquil
sagit denfermer un petit groupe de gens
dans une boîte de conserve, pendant des mois daffilée...
Ce qui est sûr,
cest quil faut senlever de la tête
lidée dune mission précipitée
vers Mars, comme les missions sur la Lune lont
été. Tout projet spatial, rappelle Lafleur,
est désormais supervisé par une armée
de fonctionnaires extrêmement soucieux que "tout
se passe parfaitement bien". "Cest un
fait: nous nacceptons plus de courir des risques
comme auparavant."
Ce qui, on en conviendra,
sauf pour la déception causée chez quelque
aficionados du voyage spatial, nest tout
de même pas une si mauvaise chose...