Les quatre équipes, indépendantes
les unes des autres, arrivent à une conclusion
claire et sans appel : le
vaccin contre la polio nest pas lié
au sida. En fait, aucun des échantillons
de ce vaccin ne
contient la moindre trace ni de VIH ni de VIS
le virus cousin du VIH, propre aux singes-
ni même dADN de chimpanzé un
élément pourtant central à
la théorie du coloré journaliste britannique
Edward Hooper.
Edward Hooper, cest celui qui,
en 1999, avec son ouvrage La Rivière
(The River) déclencha une controverse
dans les milieux médicaux et universitaires,
controverse qui sest étendue jusquau
grand public, puisquelle a transformé
son enquête journalistique en best-seller.
La théorie quil y défendait
et quil défend toujours- est
la suivante: un vaccin contre la poliomyélite
expérimenté en Afrique dans les années
50 aurait contenu des cellules de chimpanzés
infectées, à linsu des chercheurs,
par le virus VIS. Un million de personnes ainsi
vaccinées au Congo entre 1957 et 1959 auraient
reçu ce virus une masse critique largement
suffisante pour quen émerge, des années
plus tard, le sida.
En septembre
dernier, dans le cadre dune rencontre
spéciale de la Société royale
de Londres, des résultats préliminaires
des recherches dont il est question ici avaient
déjà fortement ébranlé
la théorie Hooper. Lauteur avait alors
rejeté ces résultats, les qualifiant
de sans fondements.
Pourtant, à les voir à
présent imprimés noir sur blanc, ils
semblent plus que solides. Et la théorie
Hooper nest plus seulement ébranlée,
elle
est piétinée. Par exemple, une
équipe de lUnité de rétrovirologie
moléculaire de lInstitut Pasteur, à
Paris, aidée de collègues de Californie
et de New York, a analysé cinq échantillons
congelés du vaccin suspect et a tenté
dy déceler des traces de VIH ou simplement
dADN de chimpanzé. Chou blanc, décode-t-on
de leur étude publiée
dans Nature. Lun de ces échantillons
fait pourtant partie du groupe qui a servi à
vacciner des milliers de personnes, incluant des
enfants, à Léopoldville (aujourdhui,
Kinshasa), au Congo, en 1959 et 1960.
Et ce nest pas tout. Lune
des études, publiée dans Science,
par des chercheurs britanniques de lUniversité
Oxford et français de l'Institut de recherche
pour le développement de Montpellier, arrive
même à la conclusion que, compte tenu
de "larbre généalogique
génétique" du VIH en dautres
termes, les multiples variations quon lui
connaît aujourdhui, ses "familles"
en quelque sorte- il ne peut pas être né
dun vaccin: une origine aussi restreinte signifierait
aujourdhui une diversité beaucoup moins
grande du vaccin. En revanche, une origine beaucou
plus ancienne du virus devient alors beaucoup plus
probable. Et justement, au cours de la dernière
année, deux études ont coup sur coup
pointé les années 30 comme période
probable dapparition de ce micro-organisme
chez les humains.
Mais même sans cela, létude
des échantillons de vaccin est déjà
dévastatrice pour Hooper. Un deuxième
groupe, de lInstitut britannique des études
et du contrôle des normes biologiques (NISBC),
qui publie également dans Nature,
sest penché plus particulièrement
sur un échantillon fourni par lInstitut
Wistar de Philadelphie. A lépoque de
la sortie de The River, cet Institut navait
pas encore pu fournir un tel échantillon,
et il faisait partie des coupables pointés
du doigt par Edward Hooper. Là non plus,
ni VIH ni VIS, et uniquement des cellules de macaques
et non de chimpanzés- comme le soutenait
Wistar. Or, les macaques ne sont pas porteurs du
VIS. Seuls les chimpanzés le sont.
Un troisième groupe, de lInstitut
Max Planck danthropologie de lévolution,
en Allemagne, arrive exactement à
la même conclusion. Cellules de macaques,
pas de chimpanzés.
"Nos découvertes, résume
dans Nature, pour son groupe, Philippe Blancou,
de lInstitut Pasteur, ne permettent pas dappuyer
lhypothèse suivant laquelle le VIH
aurait été introduit par la vaccination
orale contre le virus de la polio."
Lironie derrière tout
cela, analyse
dans Nature Robin Weiss, du département
dimmunologie du Collège universitaire
de Londres, cest que ces nouvelles études
"nauraient sûrement pas été
entreprises si Hooper navait pas exigé
une analyse de lADN des échantillons".
De sorte que nous lui sommes "redevables pour
avoir pousser cette cause". Humour britannique
ou grand sens de la diplomatie ?
Certes, les partisans de la thèse
Hooper auront beau jeu de prétendre que cela
ne prouve pas quEdward Hooper a eu
tort. "Cest le vieux problème
de démontrer la négative", souligne
pour Nature Neil Berry, du NISBC, rappelant
le fait, bien connu des philosophes dil y
a 2500 ans, quil est impossible de prouver
que quelque chose nexiste pas...