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Portrait d'un tueur en série
(Agence Science-Presse) - On ne s'en rend
plus compte en Europe et en Amérique du Nord
-où la malaria est éradiquée depuis
les années 60- mais la malaria n'a pas toujours
été une maladie associée à
l'Afrique. En fait, les plus anciens cas connus de malaria
ont été découverts l'an dernier
par des chercheurs britanniques, sur des squelettes
d'enfants romains: en l'an 450, une épidémie
de malaria a en effet frappé la ville de Rome
et le parasite a laissé des traces de ADN dans
ces squelettes.
Jusqu'au XIXe siècle, la plupart
des scientifiques croyaient que la malaria, qu'on appelle
aussi le paludisme, était transmise par des vapeurs
nocives émises par les marais. D'où le
mot malaria -mauvais air. L'idée que le
mal puisse être transmis par des moustiques n'a
pris de la valeur que le jour où Louis Pasteur
est débarqué avec sa théorie de
bestioles invisibles à l'oeil nu: les microbes.
Si de telles créatures existaient, a-t-on commencé
à raisonner, ne pourraient-elles pas se transmettre
par l'intermédiaire de piqûres de moustiques?
En 1880, pour la première fois, le parasite était
identifié dans le sang humain par un médecin
de l'armée française, Alphonse Laveran,
alors en poste à Alger. Il obtient en 1887 son
nom latin: Plasmodium falciparum.
Le Plasmodium falciparum est ce qu'on
appelle un eukaryote, une classe de micro-organismes
distincte des bactéries.
En 1897, un autre Britannique, lui aussi
médecin militaire, Ronald Ross, alors en poste
en Inde, observe pour la première fois le parasite
chez un moustique qui vient de piquer un patient. Observant
plus attentivement d'autres moustiques, il découvre
alors, dans leur tube digestif, des Plasmodium falciparum
à différents stades de leur développement.
Il apporte ainsi la preuve que ce sont bel et bien les
moustiques femelles -les mâles ne piquent pas-
qui transmettent la malaria. Ce qui lui vaudra le Prix
Nobel de médecine en 1902. Le cycle complet du
développement du parasite -il migre vers les
glandes salivaires du moustique, d'où il est
injecté aux humains- ne sera décrit qu'en
1948, également par une équipe britannique.
Les symptômes de la malaria -fièvre,
frissons et crampes- se développent lorsque le
parasite, après être passé dans
le sang, émerge du foie, une semaine ou un mois
après la piqûre d'insecte.
Les premiers habitants de l'Amérique
du Sud utilisaient les feuilles d'un arbre appelé
cinchona, ou quinine, pour combattre la malaria, depuis
au moins les années 1600. Bien qu'elle n'élimine
pas vraiment le parasite -elle le chasse du sang, ce
qui contribue à réduire la fièvre-
la quinine fut tout de même le seul médicament
connu contre cette maladie jusqu'en 1934. C'est à
cette date que des chimistes allemands mirent au point
la chloroquine, un médicament qui tue véritablement
le Plasmodium falciparum. Le problème est qu'aujourd'hui,
on recense de plus en plus de cas de Plasmodium falciparum
résistants à la chloroquine.
On compte aujourd'hui 170 espèces
de parasites responsables de la malaria, que des moustiques
transmettent ensuite aux reptiles, aux oiseaux et aux
mammifères. C'est toutefois Plasmodium falciparum
qui cause la forme de malaria la plus sévère.
Quant aux moustiques, deux douzaines d'espèces
d'anophèles (Anopheles mosquito, de son nom latin)
peuvent transmettre la malaria aux humains.
Y a-t-il aujourd'hui un million de morts
par année? Deux millions? Les deux chiffres ont
tour à tour été évoqués
au cours des derniers jours, alors
qu'on annonçait avoir enfin achevé, après
six ans de travail, le décodage des 5400
gènes de ce parasite tueur. L'incertitude quant
au total de morts rappelle que dans plusieurs pays pauvres,
déterminer la cause du décès d'une
personne affaiblie par la malnutrition et la sécheresse
devient très secondaire.
"C'est pire qu'il y a 50 ans", affirme
à la revue Nature l'expert en malaria
Robert Desowitz, de l'Université de Caroline
du Nord à Chapel Hill. "J'ai vu une longue série
de percées techniques, chacune promettant le
Saint-Graal. Toutes ont laissé des traces positives,
mais aucune n'a rempli les promesses de leurs défenseurs."