La recherche universitaire vs. le New York Times
(ASP) - Une décision de la Cour
suprême rendue il y a six mois dans lindifférence
la plus totale des chercheurs, commence à les
affecter plus quils ne lauraient jamais
imaginé. Les banques de donnéees de journaux
et de magazines sont en train de se transformer en fromages
gruyère.
Il y a six mois en effet, une poursuite
judiciaire amorcée depuis sept ans arrivait finalement
à son terme : la Cour suprême des
États-Unis donnait raison au journaliste pigiste
Jonathan Tasini, dans sa lutte contre une demi-douzaine
de géants des télécommunications
et des médias: non, concluaient les juges, les
créateurs de ces banques de données qui
archivent les articles des journaux et des magazines
nont pas le droit de réutiliser ces textes
sans avoir obtenu lautorisation de leurs auteurs.
Du moins, lorsque ceux-ci sont des pigistes. Ce qui
signifie que journaux et magazines devront verser une
compensation à leurs pigistes pour chaque article
réutilisé ou, à tout le moins,
sentendre avec eux, ce que fort peu ont essayé
de faire jusquici.
Le problème pour les chercheurs
a surgi dès le lendemain de la décision,
lorsque les journaux, dont rien de moins que le New
York Times et le Washington Post, ont annoncé
quils retireraient de leurs banques de données
les articles des pigistes qui ont refusé de donner
leur accord. Ce qui, mine de rien, pour des banques
de données qui permettent de reculer de 10, voire
20 ans, en arrière, fait des dizaines de milliers
de textes.
Et pas seulement les chercheurs, mais
une foule denseignants, comme Xiaotian Chen, de
lUniversité dÉtat Truman,
qui fait lobjet dun article dans une édition
récente de la Chronicle of Higher Education.
Des articles quil avait sélectionnés
le printemps dernier dans la prestigieuse banque Nexis-Lexis
étaient
soudain introuvables ces dernières semaines,
lorsquil a confié une recherche à
ses étudiants.
Les bibliothécaires sont outrés.
"Presque 20 années dhistoire des journaux,
source vitale dinformation pour ceux qui étudient
lhistoire, les sciences politiques, la société,
les médias et autres sujets, se retrouvent avec
davantage de trous quun bloc de fromage suisse ",
écrit la Chronicle. Qui sinquiète
du même souffle des autres poursuites judiciaires
en cours, dont la plus notable est celle qui est dirigée
par des photographes du National Geographic Magazine.
"Nul dans les universités
ne semble savoir combien darticles, et lesquels,
sont manquants." Dautant plus quune
banque de données électronique, ce nest
pas comme un journal imprimé : vous ne pouvez
pas la feuilleter au hasard, pour vous apercevoir tout
à coup quil y a un trou dans telle et telle
page.
Interrogé à ce sujet, lhistorien
Lee W. Formwalt, 50 ans, directeur de lOrganisation
des historiens américains, juge que la situation
nest pas aussi grave quelle y paraît,
et espère que cela obligera les étudiants
à revenir à la bonne vieille méthode :
fouiller dans les archives imprimées. Mais il
nest pas sûr que la génération
qui le suit voit les choses de la même façon.
La réaction des éditeurs
est " dévastatrice " pour
la recherche historique et les sciences sociales en
général, juge Stanley N. Katz, professeur
dhistoire à lUniversité Princeton.
Lun de ses collègues, par exemple, travaille
sur les batailles culturelles déclenchées
dans 75 villes entre 1995 et 1998... Une recherche quil
naurait même pas osé entreprendre
sans ces banques électroniques et qui,
à présent, risque dêtre complètement
biaisée à cause de ces omissions.
LAssociation américaine des
bibliothécaires et lAssociation des bibliothèques
de recherche avaient donné leur appui aux pigistes
dans leur lutte contre les éditeurs, ainsi quun
grand nombre dhistoriens, dont Stanley Katz.