On l'appelle CITES: Convention
sur le commerce international des espèces
de faune et de flore sauvages menacées
d'extinction. En
vigueur depuis 27 ans, elle ne fait pas les
manchettes, bien qu'elle réunisse
en ce moment, à Santiago (Chili), sous
l'égide des Nations Unies, 2000 représentants,
gouvernementaux et non-gouvernementaux, de 160
pays, du 3 au 15 novembre. C'est la grand-messe
mondiale où doivent en théorie
se décider des règles et des lois
qui sauveront des centaines d'espèces
animales et végétales.
Sauf qu'à l'heure où
ce congrès voit défiler
des accusations de corruption, de pots-de-vins,
d'espionnage et de menaces physiques, la
survie des espèces ne semble pas du tout
sur la bonne voie...
En théorie, les congrès
de CITES doivent surtout parler de science:
la démographie de telle et telle espèce,
l'impact sur sa santé de la chasse, de
la pêche, ou de la pollution. Si la menace
qui pèse sur une espèce est jugée
suffisamment grave, les délégués
vont alors voter pour en réglementer
le commerce, voire imposer un embargo international.
"Malheureusement, rapporte pour
la BBC Sue Leverman, du Fonds mondial pour la
nature, nous assistons à une politisation
terrible des débats", à un niveau
"que je n'ai jamais vu à aucun congrès
CITES jusqu'ici".
C'est qu'il y a des milliards
de dollars en jeu: chasse et pêche, mais
aussi tout le marché noir des animaux
rares transportés illégalement
d'un pays à l'autre, sans oublier les
pénis de phoques ou l'ivoire d'éléphant.
Toutes sortes de lobbys tentent donc de faire
annuler un vote qui risque de leur 'être
défavorable, en échange d'un appui
à un pays pauvre -ou parfois, affirment
certains délégués, sous
le couvert d'une menace "physique ou économique".
Le Japon est-il dans le camp de
ceux qui ont fait des menaces? En tout cas,
selon Mme Leverman, "il tente de bloquer toutes
les propositions liées à la pêche",
au moment où il se retrouve à
nouveau sur la sellette pour avoir contourné
une fois encore l'interdiction internationale
de pêche à la baleine en vigueur
depuis 1986: quelque
400 petits rorquals seront prochainement tués
"sous couvert d'étude scientifique",
apprenait-on la semaine dernière. Officiellement,
les cinq baleiniers qui ont quitté le
port de Shimonoseki, sont partis pour une expédition
scientifique de six mois dans l'océan
Antarctique. Officieusement, les rorquals capturés
et tués seront revendus sur les marchés
japonais. Le Japon, ironise Libération,
n'a commencé à se passionner pour
la recherche scientifique sur les baleines qu'en
1987 -tout de suite après la signature
du traité international interdisant la
chasse à la baleine. Sa
demande de lever cet interdit a été
rejetée vendredi, 9 novembre, par
les autres délégués.
Certes, ces délégués
ne font pas que se lancer des accusations à
la tête. En plus de cette résolution
qui a déplu au Japon, une proposition
de la Grande-Bretagne d'exploiter un élevage
commercial de tortues vertes sur les Iles Cayman
a été rejetée. Londres
allègue que son projet, qui vise à
développer le marché des écailles
de tortues, était conforme à tous
les critères de protection de cette espèce
édictés par CITES. Les écologistes
répliquent que cet élevage encouragerait
un marché noir dévastateur pour
les tortues sauvages. Une autre proposition,
visant
à interdire la capture du dauphin de
la Mer Noire (très en demande dans
les cirques et les parcs d'amusement) a également
obtenu l'appui de la majorité des délégués.
La Georgie, un des six pays donnant sur la Mer
Noire, était le principal promoteur de
cette proposition, tandis que la Russie s'y
opposait, alléguant que la population
de dauphins est en hausse.
Ceci dit, il
faudrait que les efforts de sauvegarde aillent
au-delà de ces espèces "charismatiques",
a-t-on prévenu dès l'ouverture
de cette conférence. Klaus Topfer, du
Secrétariat de CITES, s'inquiète
qu'on parle autant des éléphants
-le
marché noir de l'ivoire était
au coeur d'une partie des débats,
22 pays africains souhaitant que ce marché
redevienne légal- et des baleines, mais
pratiquement pas de dizaines d'autres espèces
autant, sinon plus, menacées. Dont des
arbres et des poissons, effectivement moins
médiatiques que les baleines et les dauphins...