La Nasa et ses
homologues des autres pays,
les politiciens, les scientifiques,
les
journalistes, ont été
prompts à dire: il faut
continuer. Le désir de
connaissances et de dépassement
est trop fort pour être
arrêté. A côté
de leurs voix, celles qui réclament
depuis toujours un arrêt
complet des dépenses
spatiales, sont demeurées
marginales.
Et à la
défense des partisans
de l'exploration spatiale, on
doit admettre que leur domaine
n'est pas le seul où
les retombées scientifiques
ne sont pas évidentes
au premier abord. Qui pourrait
dire à quoi serviront
les milliards de dollars engouffrés
dans les accélérateurs
de particules et les observatoires
à neutrinos? Qui peut
garantir que les énormes
ressources humaines et financières
investies jusqu'ici dans la
thérapie génique
et les nanotechnologies n'aboutiront
pas à une impasse? La
science a rarement été
une compagne qui livrait facilement
ses secrets.
Mais à
défaut de rejeter du
revers de la main l'exploration
spatiale, tout le monde se rejoint
pour poser la même question:
les efforts sont-ils mis à
la bonne place?
Cela fait plus
de 40 ans qu'on fait des missions
autour de la Terre. Il serait
temps de faire autre chose,
de plus utile et de plus novateur,
dénonçait par
exemple en fin de semaine l'astronaute
français Patrick Beaudry.
Et comme lui, ils ont été
plusieurs à rappeler
que la navette spatiale est
une idée des années
60 et une technologie des années
70, très mal adaptée
à la réalité
actuelle.
Cent cinq tonnes
pour la navette Columbia (lancée
pour la première fois
en 1981), et
seulement quelques vols par
année alors qu'on en
imaginait des dizaines il
y a 30 ans: la navette spatiale
est comme un camion lourd et
poussif, dont on est incapable
de se débarrasser faute
de budgets, alors qu'on aurait
pu construire depuis longtemps
des véhicules plus efficaces,
plus légers, moins coûteux
et plus sécuritaires.
Et qui pourraient décoller
plus souvent.
En avril 2002,
Richard Blomberg, ex-président
d'une commission d'enquête
indépendante sur la sécurité
aérospatiale, faisait
part de son inquiétude
devant un comité du Congrès,
à Washington: la flotte
des navettes spatiales vieillit,
rappelait-il, et "une des causes
premières de mon inquiétude
est que personne ne saura avec
certitude quand la marge de
sécurité aura
été dépassée".
La Nasa va se
relever de cette tragédie,
prédisent
à présent avec
optimisme tous les observateurs,
mais elle devra faire un sérieux
examen de conscience.
- Que faire avec
une station spatiale internationale
qui, avec un équipage
de trois hommes, ne sera plus
que l'ombre de ce qu'elle aurait
pu être, mais qui n'en
coûtera pas moins ses
100 milliards de dollars, si
le projet se rend jusqu'au bout?
- Que faire des
projets d'une navette de deuxième
génération (le
projet d'un avion orbital,
dernier en lice), qui n'étaient
pas attendus avant la décennie
2010, mais qui deviennent aujourd'hui
cruellement nécessaires,
avec une flotte réduite
à trois navettes?
- Que faire de
ces trois navettes, elles qui,
à l'origine il y a 20
ans, devaient être mises
à la retraite vers l'an
2000, et dont des administrateurs
de la Nasa prétendaient
récemment que, somme
toute, elles pourraient encore
faire l'affaire pendant 20 autres
années?
- Que faire des
projets de recherches, chroniquement
remis à plus tard, sur
de nouvelles technologies de
propulsion, qui permettraient
de rallier les autres planètes
beaucoup plus vite?
- Que faire, enfin,
des ambitions politiques transitoires
qui viennent souvent détourner
de leur but premier des projets
scientifiques à long
terme?
Ne faudrait-il
pas investir dans des idées
d'avenir, plutôt que dans
ces missions qui ont des résultats
dérisoires par rapport
aux budgets consentis, dénonçait
en substance Patrick Beaudry,
dimanche, dans le cadre de l'émission
radiophonique Les Années-lumière.
Rien n'empêchera
les accidents. Après
l'explosion de la navette Challenger,
en 1986, les ingénieurs
l'avaient prédit: tôt
ou tard, une autre tragédie
surviendrait. Même avec
la meilleure sécurité
du monde, l'espace reste un
milieu hostile et les technologies
utilisées sont encore
trop jeunes pour avoir pleinement
fait leurs preuves. En d'autres
termes, nos fusées et
nos navettes spatiales seront
peut-être vues, par nos
descendants de l'an 2100, avec
le même genre de sourire
que nous accordons aux avions
de bric et de broc des années
1900.
Mais les accidents
seraient peut-être plus
faciles à accepter si
le but était plus clair.
Pascal
Lapointe