Difficile à croire, mais un quart de
siècle après le premier bébé-éprouvette,
jamais les cliniques de fertilité américaines
n'avaient daigné donner de chiffres précis
sur le nombre d'embryons qu'elles gardent au congélateur,
en attente d'une décision des parents. Voilà
qui est chose faite. Et le chiffre est si gros qu'il ne
manquera pas d'influencer les débats fortement politisés
sur l'utilisation des cellules-souches.
Quatre cent mille embryons congelés:
c'est deux fois plus que le nombre qu'estimaient les experts,
comme quoi la manie du secret des cliniques de fertilité
a eu un impact: on sait très, très peu de
choses sur ce qui se passe derrière ces portes closes.
Et en fin de compte, ce n'est pas un groupe
indépendant qui a effectué cette enquête,
publiée vendredi, 9 mai, mais les cliniques elles-mêmes.
Ou plus exactement, leur regroupement, la Société
pour la technologie de reproduction assistée.
Certes, il y a des raisons pour ce nombre
disproportionné d'embryons, et ces raisons sont connues.
Parce qu'il est coûteux d'extraire un ovule en vue
de l'amener à rencontrer un spermatozoïde en
laboratoire, les couples acceptent généralement
que les médecins en extraient plusieurs. Voire, qu'on
fertilise plus d'un ovule. Même si un seul sera implanté
dans l'utérus de la future maman, les autres embryons
restant dès lors en attente, dans des limbes juridiques
entre décision parentale et destruction scientifique.
Or, comme les cliniques autant que les parents sont réticents
à l'idée de les détruire, on en arrive
à ce total impressionnant, explique le Dr David Hoffman,
ancien président de la Société et co-auteur
de l'étude.
Un total de 400 000, à quelques milliers
d'embryons près. Ce à quoi le Dr Hoffman estime
qu'on pourrait ajouter une autre vingtaine de milliers d'embryons,
détenus dans des cliniques qui n'ont pas répondu
à son enquête.
En comparaison, toujours selon ce chercheur,
il y aurait 52 000 embryons congelés en Grande-Bretagne,
et 71 000 en Australie. La différence est qu'en Grande-Bretagne,
au contraire des Etats-Unis, les cliniques de fertilité
sont étroitement encadrées par la Direction
de fertilité humaine et d'embryologie, qui a statué
que les couples pouvaient garder au frigo leurs embryons
pendant cinq années seulement, avec possibilité
d'une seule prolongation de cinq ans. Il n'existe aucune
limite de ce genre aux Etats-Unis. Une expansion plus rapide
encore du nombre d'embryons embryons congelés est
donc probable, "puisque
peu sont détruits, sinon aucun et que de plus en
plus sont créés chaque jour" explique
au New York Times un autre co-auteur, Gail L. Zellman,
du groupe de recherche californien RAND.
Le débat éthique a rarement
levé sur cette question depuis 20 ans, entre autres
à cause de ce secret jalousement gardé des
cliniques de fertilité. Mais le Times donne
déjà un aperçu des questions qui pourraient
surgir: faut-il choisir entre l'intérêt de
la mère ou celui de l'embryons? Ainsi, c'est dans
l'intérêt de la mère que de fertiliser
plusieurs ovules à la fois, afin de ne pas avoir
à subir plusieurs fois la même opération.
Mais ce serait dans l'intérêt de l'embryon
que de ne prélever qu'un ovule à la fois,
et de ne passer au suivant que si la tentative de fertilisation
sur le premier a échoué. Une loi allemande
dit même que tous les embryons fertilisés avec
succès doivent être menés à terme.
Les résultats de cette étude
avaient été coulés au Washington
Post la veille de sa publication.
C'est depuis 1986 que la fertilisation in
vitro est une pratique autorisée aux Etats-Unis,
et 100 000 enfants sont nés grâce à
cette technologie.