Tous les enfants ont vu
ces images de semi-humains, à
peine dressés sur leurs pattes
de derrière qui, il y a deux
millions d'années, auraient commencé
à chasser pour se nourrir. Le
fait de tailler des pierres, de s'armer
de gourdins, et d'apprendre à
chasser, aurait fourni à nos
lointains ancêtres une alimentation
plus riche en protéines et leur
aurait ainsi donné l'élan
dont ils avaient besoin pour conquérir
le monde.
Pas
si vite, contestent de plus en plus
d'anthropologues. Certes, les restes
de repas découverts sur de multiples
sites ont démontré depuis
quatre décennies que les australopithèques
d'il y a deux à trois millions
d'années, suivis par les Homo
Erectus du dernier million d'années,
ont mangé davantage de viande
que leurs ancêtres, alimentation
à laquelle se sont progressivement
adaptées leurs mâchoires
et leurs dents. Qui plus est, ce scénario
s'ajuste bien à celui de la famille
nucléaire, où l'homme
chasse tandis que la femme ramasse des
fruits et s'occupe des enfants.
Mais on n'est plus aussi
sûr que le mâle ait appris
à chasser aussi vite et avec
une pareille efficacité. Les
sites archéologiques des Homo
Erectus où on a retrouvé
des restes d'animaux et d'armes révèlent
trop souvent une proie qui aurait été
dépecée sur place, et
non pas ramenée "à la
maison". Dans la dernière édition
du Journal of Human Evolution,
James O'Connell, anthropologue à
l'Université de l'Utah, donne
en exemple de tels restes retrouvés
à proximité d'une rivière,
lieu de passage de dangereux prédateurs
comme les lions: certainement pas un
endroit où une famille nucléaire
aurait envie de passer la nuit...
C'est plus probablement
un lieu où un groupe se serait
rassemblé autour d'une proie
déjà morte. Tuée,
justement par un lion. Les humains se
seraient pointés après
le départ du lion, et se seraient
partagés les restes. Scénario
moins glorieux, mais plus vraisemblable,
au regard des observations de tribus
africaines de chasseurs.
Et ce n'est pas tout,
souligne le New Scientist. Avec
un tel scénario, comme le révèle
l'observation de tribus modernes comme
celle des Hadza, on ne peut pas nourrir
un grand groupe. Les "restes" laissés
par les prédateurs et les charognards
ne sont pas si nombreux et surtout,
sont trop aléatoires. En conséquence,
il faut trouver autre chose pour se
nourrir, et c'est là, écrit
O'Connell, qu'interviennent les femmes.
Si les pères ne pouvaient pas
apporter de la viande pour nourrir les
enfants, les mères ont dû
se débrouiller pour trouver de
la nourriture, en faisant la cueillette
de fruits, de feuilles et de racines.
Les mères, et plus
encore, les grands-mères, puisqu'il
fallait bien que quelqu'un le fasse
pendant que les mères étaient
enceintes: dans cette optique de "partage
des tâches", l'évolution
aurait donc favorisé un accroissement
de l'espérance de vie, lequel
entraîne un accroissement de la
période d'enfance -période
pendant laquelle le petit est dépendant
de ses parents. Et voilà comment
une bonne partie de l'évolution
qui a conduit jusqu'à nous pourrait
s'expliquer non par le talent du chasseur,
mais par le talent de la cueilleuse...