A l'heure en effet où des pêcheurs
canadiens de l'Atlantique s'estiment discriminés
par de nouvelles restrictions sur la pêche à
la morue, une étude internationale révèle
que les craintes sont en-dessous de la réalité.
Au cours des 50 dernières années, à
travers le monde, jusqu'à 90% des grands poissons
prédateurs auraient été éradiqués
par la pêche commerciale.
Qualifié
de "choquant" par les écologistes,
de précieux par les biologistes mais déjà
traité
avec scepticisme par plusieurs pêcheurs
le rapport de l'Université Dalhousie (Nouvelle-Écosse)
s'est mérité la page couverture de la dernière
édition de la revue britannique Nature. Il
met également en lumière que des espèces
aussi différentes que le requin et la morue, l'espadon
et la barbote, sont aujourd'hui beaucoup plus petites en
taille que ne l'étaient leurs ancêtres: de
20% à 50% plus petites. Sur une période de
seulement 50 ans, c'est énorme.
Les biologistes marins Ransom Myers et Boris
Worm ont mis 10 ans à rassembler les données.
Et la phrase "les grands poissons pourraient suivre
les dinosaures", n'est pas d'un journaliste en mal
de titre-choc, mais des auteurs eux-mêmes.
Seules des coupes massives dans les pêches
et l'établissement d'un réseau international
de réserves naturelles aux quatre coins des mers,
permettront de sauver ces espèces de l'extinction,
assurent ces chercheurs. Les espèces les plus durement
touchées devront voir leur taux de mortalité
diminuer "d'au moins" 50% pour espérer
avoir une chance de survie.
Leur recherche diffère de celles qui
ont précédé, ajoutent-ils, parce que
les fonctionnaires nationaux responsables des pêches
ont jusqu'ici eu plutôt tendance à ne considérer
que des données relatives à une espèce
ou à une région, avant d'établir ou
non des restrictions.
Qui plus est, la pêche commerciale à
grande échelle a commencé longtemps avant
que les biologistes marins n'aient commencé à
recenser les poissons, ce
qui a permis à cette catastrophe écologique
de demeurer cachée pendant des décennies.
Et de demeurer en partie cachée, aujourd'hui encore.
"Lorsque les gouvernements commencent à agir,
la ressource est depuis longtemps partie", approuve
Daniel Pauly, biologistes des pêches à l'Université
de Colombie-Britannique à Vancouver. Cela vaut aussi
bien, lit-on dans l'étude, pour la pêche atlantique
au large de Terre-Neuve les
pêcheurs de morue sont au chômage depuis 10
ans que pour les pêcheurs de Thaïlande
ou du Brésil.
"Nous sommes dans une situation de dénégation
massive, a lancé Ransom Myers sur les ondes de la
BBC, et nous continuons de nous chamailler sur les derniers
chiffres décroissants de survivants, en employant
des satellites et des détecteurs pour attraper les
derniers poissons qui restent."
Leur étude leur a immédiatement
valu des appuis: "les gens ont oublié combien
il y avait de poissons dans les océans", déclare
le biologiste Callum Roberts, conservateur marin à
l'Université York (Angleterre). Les informations
sur le déclin des réserves de poissons sont
devenues si fréquentes dans les médias que
le citoyen n'y prête plus attention: il croit qu'il
s'agit d'une situation normale qui peut ainsi se poursuivre
très longtemps.