Un effort massif de vaccination contre
la poliomyélite, sous l'égide de l'Organisation
mondiale de la santé, a été
bloqué au Nigéria, après qu'un
chef religieux eut déclaré que le
vaccin pouvait causer le cancer, le sida ou la stérilité.
Il s'agit du même vaccin qui
est employé depuis des décennies à
travers le monde, et qui a conduit à l'éradication,
sur les trois quarts de la planète, de la
polio. La polio pourrait de ce fait devenir, après
la variole, la deuxième maladie à
être entièrement éradiquée
de la surface du globe. Encore que, depuis plusieurs
années, le processus de vaccination ralentisse
considérablement, faute
de fonds -et faute d'intérêt, dans
les pays du Nord- ce qui fait surgir une nouvelle
crainte: que des gens encore porteurs de la maladie,
au Nigéria par exemple, n'aille contaminer
des populations d'autres pays, où on ne sent
plus le besoin de vacciner. Ou que le virus ait
le temps de subir une mutation, obligeant la campagne
de vaccination mondiale à repartir à
zéro.
Parmi la dizaine de pays où
on recense encore des cas de polio, le Nigéria
est en tête de liste: 178 des 414 cas recensés
dans le monde depuis le début de 2003, ce
qui le place même devant l'Inde. Le Nigéria
représente par conséquent une menace
pour les pays voisins d'Afrique de l'Ouest. C'est
pourquoi l'Organisation mondiale de la santé,
forte de son budget de 10 millions$ US obtenu cette
année pour la vaccination anti-polio, avait
décidé de cibler cet État en
priorité.
Le vendredi 24 octobre, la campagne
était lancée: en trois jours, pas
moins de 15 millions d'enfants, au Nigéria
et dans les pays voisins, dont
le Ghana, devaient recevoir le vaccin oral,
grâce à l'aide de centaines de milliers
de travailleurs de la santé et autres bénévoles
mobilisés pour l'occasion.
Un travail monumental. Mais soldé
par un échec. Trois États du Nord
du Nigéria à forte majorité
musulmane Kano, Kaduna et Zamfara ont
refusé la vaccination, à la suite
de l'opposition manifestée par les influents
chefs islamiques, qui prétendent que le vaccin
n'est pas sécuritaire et fait partie d'un
complot américain contre l'Afrique.
Interrogé
par la BBC, Datti Ahmed, président du
Conseil suprême pour l'application de la Charia,
la loi, a déclaré qu'il lui fallait
vérifier les rapports selon lesquels le vaccin
était contaminé par des virus causant
le cancer (?), le sida ou la stérilité.
Datti Ahmed est lui-même... médecin.
D'autres cas de polio ont été
signalés ces dernières années
dans les pays voisins: Burkina Faso, Ghana, Niger,
Togo et Tchad. La capitale du Nigéria, Lagos,
a récemment connu ses deux premiers cas depuis
2001, et dans les deux cas, l'ADN du virus permet
de retracer ses origines à l'État
de Kano.
La polio est une infection causée
par un virus qui affecte surtout les enfants et
peut se transmettre par simple contact physique.
Elle entraîne une paralysie permanente.
Les embûches religieuses à
la vaccination n'ont pas commencé la semaine
dernière. "Un nombre disproportionné
de cas de polio se rertrouve parmi les musulmans",
a déclaré à la revue Nature,
depuis les États-Unis, Bob Keegan, directeur
adjoint de la division de vaccination globale au
Centre de contrôle des maladies d'Atlanta.
Dans certains États du Nigéria, le
taux de vaccination a dégringolé à
16% parmi les enfants, alors que l'OMS fixe à
80% le niveau requis pour écarter un risque
d'épidémie.
Le ministère de la Santé
du Nigéria a promis de son côté
que la polio serait éradiquée de son
pays d'ici la fin de 2004. D'autres "journées
de vaccination" ont déjà été
annoncées par son gouvernement pour décembre
et janvier, mais celui-ci n'a pas les moyens d'imposer
la vaccination aux gouvernements régionaux,
si ceux-ci décident de faire la forte tête...