Les nouvelles sont mauvaises, en dépit
des dénégations de l'inspecteur en chef de
l'ONU, Mohammed ElBaradei, selon
qui l'Iran offre un accès complet à ses inspecteurs.
Au contraire, selon la chaîne de télé
Al-Jazira, qu'on ne peut tout de même pas accuser
d'être biaisée en faveur des Américains,
"l'Iran
bloque aux inspecteurs de l'ONU l'accès à
certains sites militaires". Reprenant la même
nouvelle, la télé australienne titre plus
prudemment que l'Iran "n'est
pas obligée", en vertu des règles sur
ces inspections, d'ouvrir ses sites militaires. Plus inquiet,
le bulletin Israel Insider titre que "un
Iran nucléaire constitue une menace extrême
pour les Etats-Unis".
Que l'Iran ait ou n'ait pas la bombe importe
donc peu: ce sur quoi tout le monde s'entend, c'est qu'il
possède la capacité scientifique et technique
pour l'obtenir. Et s'il décide de l'obtenir, les
inspecteurs de l'ONU ne pourront pas faire grand-chose pour
l'en empêcher.
De quoi a-t-on besoin pour fabriquer une bombe?
Relativisons. Aujourd'hui, avoir une bombe
atomique, ce n'est pas aussi facile qu'on le prétend
dans les films: on ne peut pas voler un missile à
tête nucléaire à tous les coins de rues,
même dans l'ex-URSS. Mais ce n'est pas non plus si
complexe. Il faut réunir trois éléments:
1) Une centrale nucléaire. C'est
à partir d'elle que sera obtenu le "combustible"
pour la bombe. Et pour bâtir une centrale nucléaire,
il faut une certaine infrastructure industrielle (production
de graphite, accès aux ressources matérielles,
et beaucoup d'argent). On est souvent surpris d'apprendre
que les programmes nucléaires pakistanais et lybiens
ont été surestimés, dans les années
70, parce que ces pays manquaient d'articles aussi élémentaires
que des câbles électriques ou des tuyaux d'acier!
A l'inverse, de nombreux pays industrialisés
possèdent un programme nucléaire solide, mais
n'ont jamais franchi le pas vers une utilisation militaire
du nucléaire. C'est le cas de la Suède et
du Canada, qui ont tous deux un programme nucléaire
remontant aux années 50. Dans le cas du Canada, il
s'agit de la technologie CANDU, vendue entre autres à
l'Inde et au Pakistan qui, eux, ont franchi le pas vers
la bombe).
2) Le combustible. C'est l'élément
capital. L'uranium-238 ou le plutonium, les deux saloperies
pouvant être à l'origine de la réaction
en chaîne dévastatrice, sont en quelque sorte
des sous-produits des centrales nucléaires. Il faut
entre deux et six ans de production à une centrale
tout dépendant de la puissance de son réacteurpour
produire de quoi alimenter sa première bombe c'est
dans ces cas-là qu'on parle, dans un détour
quasi-poétique, "d'enrichir" l'uranium.
Et c'est là, et seulement là, qu'intervient
le droit international: en vertu du Traité
de non-prolifération nucléaire de 1970,
tout pays doté d'un programme nucléaire
doit accepter la visite d'inspecteurs de l'Agence
internationale de l'énergie atomique (AIEA),
chargés de veiller à ce que ces "sous-produits"
ne soient pas récupérés à
des fins militaires. Dans le dossier de l'Iran, c'est
précisément là que réside
en ce moment l'incertitude.
3) Les experts. Ce n'est pas le premier ingénieur
venu qui peut jongler avec l'atome. Il faut réunir
plusieurs types d'experts (physique nucléaire,
mécanique classique, thermodynamique, théorie
cinétique, et la chimie et la métallurgie
des éléments transuraniens).
Mais aussi impressionnante que soit
cette liste, ces experts sont moins difficiles à
trouver que jadis. Deux générations
se sont maintenant écoulées depuis l'époque
où les universités nord-américaines
et européennes ont commencé à
ouvrir des programmes de physique nucléaire:
c'est largement assez de temps pour qu'un pays mal
intentionné se constitue une solide équipe
d'experts.
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Bref: est-il encore réaliste
de croire au Traité de non-prolifération
nucléaire, qui remonte à 34 ans? Ce
n'est pas l'opinion des experts en politique internationale
qui déclaraient que ce traité ne faisait
que retarder l'échéance. Ces experts
faisaient cette déclaration il y a... 34 ans!
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Chronologie
Octobre 1956:
Création de l'Agence internationale de l'énergie
atomique, sous l'égide de l'Organisation
des Nations Unies. 72 nations, incluant les Etats-Unis
(détenteurs de la bombe depuis 1945) et l'URSS
(depuis 1949), en sont membres.
1963:
Signature du Traité d'interdiction limitée
des tests nucléaires, premier traité
international à attaquer de front le problème.
Interdiction des essais nucléaires dans l'atmosphère,
dans l'espace et sous l'eau.
Mars 1970:
Traité sur la non-prolifération nucléaire.
Signé par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne
et l'URSS. La France, détentrice de la Bombe
depuis 1960, ne s'y joindra qu'en 1992.
Juillet 1974:
Signature du traité USA-URSS interdisant
les tests souterrains.
1986:
L'ingénieur israélien Mordechaï
Vanunu, qui avait travaillé à l'usine
atomique israélienne de Dimona de 1976 à
1985 avant d'émigrer en Australie, révèle
que son pays s'est doté de l'arme atomique.
Enlevé par les services secrets israéliens,
il est condamné à 18 ans de prison.
1998:
L'Inde et le Pakistan font exploser leur première
bombe.
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Certes, à l'époque, signer pareil
traité était tout sauf évident. Le
Traité de non-prolifération nucléaire
est "un
des plus grands succès de l'histoire du contrôle
des armements", titre, étonnamment, un journal
destiné à la diaspora iranienne.
De fait, dans les années 50 (l'AIEA
a été fondée en 1957), alors que les
Etats-Unis et l'URSS, ennemis jurés, venaient de
se doter de l'arme nucléaire, alors que les Britanniques,
les Chinois et les Français tentaient d'avoir la
leur, réussir à faire signer un tel traité
par des dizaines de nations relevait de l'utopie.
Contre toute attente, ce Traité a pourtant réussi
à maintenir le couvercle sur la marmite: pendant
trois décennies, des nations aussi disparates que
l'Afrique du Sud, l'Irak, l'Algérie, la Corée
du Sud, Taïwan, l'Argentine et le Brésil qui,
toutes, avaient la capacité de développer
des armes nucléaires, et dans certains cas, ont même
tenté d'en développer, ne l'ont pas fait.
Tant bien que mal, elles se sont conformées aux directives
de l'AIEA. De 43 signataires en 1970, le Traité de
non-prolifération nucléaire est passé
à 96 en 1975 et à près de 190 aujourd'hui.
Mais les événements des dernières
années laissent croire que le couvercle n'est plus
sur la marmite. Tout d'abord, trois pays n'ont jamais signé
le traité, et ce sont des exceptions notables: Israël,
le Pakistan et l'Inde, devenus tous trois, dans l'intervalle,
puissances nucléaires. La Corée du Nord a
annoncé en janvier 2003 son intention de s'en retirer.
Il a été confirmé cet automne que la
Corée du Sud avait poursuivi, entre 1982 et 2000,
un programme secret d'enrichissement de l'uranium, en violation
du Traité. Enfin, l'Iran, au stade actuel de développement
de son programme nucléaire, serait en théorie
capable d'avoir la Bombe en 2007.
AIEA ou pas AIEA, Traité ou pas traité,
pressions européennes ou pas, à moins d'une
invasion américaine peu probable de l'Iran,
"la
bombe iranienne est inévitable", selon Pierre
Hassner, du Centre d'études et de recherche internationale
de Paris, interrogé par le journal marocain L'Observateur.
Et puis, il y a un problème plus profond
encore. En 1995, plusieurs Etats "sans bombe" avaient accepté
la reconduction du traité, à une seule condition:
que les puissances nucléaires "originales" (Etats-Unis,
Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) s'engagent à
désarmer. On connaît la suite...
Pascal Lapointe