Jamais encore n'avait-on vu de liquide sur
un monde, en-dehors de la Terre. Certes, on aurait préféré
découvrir de l'eau sur Titan, mais à une température
de moins 180 degrés Celsius, il ne faut pas être
trop exigeant. N'empêche que la confirmation qu'il
y a du liquide là-bas comble les espoirs les plus
fous des observateurs: cela rapproche encore un peu plus
Titan de ce à quoi devait ressembler la Terre il
y a quatre milliards d'années.
La première "observation" de ce liquide
ne provient pas des photos, mais de l'atterrissage: immédiatement
après, deux instruments (un chromatographe, qui sert
à analyser les gaz et un spectromètre) ont
vu la concentration de méthane bondir de 30%. Ce
qui s'est passé: le sol était probablement
humide de méthane, et
ce méthane s'est évaporé sous l'effet
de la chaleur produite par Huygens, a expliqué
John Zarnecki, principal responsable de l'équipement
scientifique, lors de la conférence de presse de
vendredi, tenue à Paris. Conclusion: il y avait du
liquide qui imbibait encore la surface, ou du moins qui
n'était qu'à quelques centimètres sous
la surface. Ce qui signifie qu'il a plu il n'y a pas si
longtemps.
Qui plus est, les analyses de l'atmosphère
révèlent que le méthane qui s'y trouve
(il compose 6% de l'atmosphère) est plus concentré
à mesure que l'on descend vers la surface ce
qui confirme là aussi sa présence sur la surface
elle-même. En comparaison, le principal gaz de cette
atmosphère, l'azote, reste au même niveau.
Mais les photos sont également riches
en informations, et elles révèlent un monde
de plus en plus familier à nos yeux de Terriens.
Ainsi, en combinant une demi-douzaine d'images couvrant
une région d'un kilomètre carré, les
scientifiques ont formé une image 3-D qui dessine
des
collines dont la plus haute culmine à 100 mètres,
selon Marty Tomasko, de l'Université de l'Arizona,
responsable de l'équipe de décodage des images.
Des lignes noires traversent cette région à
la manière dont le ferait logiquement un système
de drainage: "nous voyons un système de rivières
qui coule dans un delta".
Enfin, il semble y avoir de la glace en abondance
sur la surface, à en juger par les différences
de luminosité lorsqu'on regarde le même site
suivant deux angles différents. De la vraie glace,
cette fois, de la glace d'eau, et non du méthane.
Bref, "nous avons des traces de plusieurs
processus similaires à la Terre, comme de la pluie,
de l'érosion et de l'abrasion, mais avec des composés
exotiques", résume Marty Tomasko. Il faut se rappeler
que sur Mars, planète qui nous est de loin plus familière,
ces processus ont également été observés,
mais ils remontent à des centaines de millions d'années.
Alors que sur Titan, tout laisse croire qu'ils se déroulent
encore, sous nos yeux.
Mais où est le liquide?
Seule déception, aucun élément
liquide n'est vraiment visible sur les photos, et les scientifiques
vont sûrement spéculer là-dessus dans
les années à venir. Y en a-t-il moins que
prévu? Titan serait-il dans une phase de sécheresse?
A-t-on atterri au mauvaise endroit?
Il faut également se rappeler que le
méthane est un gaz instable, qui ne peut demeurer
longtemps dans l'atmosphère. Qu'il y soit présent
à un taux d'environ 6% signifie donc qu'il y a "renouvellement":
des éruptions volcaniques provoquent-elles régulièrement
des "échappements" de méthane?
Les analyses ne s'arrêtent pas là.
La quête de molécules organiques complexes
dans l'atmosphère et dans ce sol humide ont à
présent toute l'attention des chimistes et des biochimistes.
Si de la pluie de méthane tombe sur le col, toutes
sortes de composés chimiques peuvent aussi monter
et redescendre, provoquant un brassage chimique susceptible
de nous en apprendre beaucoup sur ce qui s'est passé
chez nous, il y a 4 milliards d'années.
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