La raison: c'est par satellite qu'on évaluait depuis
des années le rétrécissement de la
forêt amazonienne. Or, les analyses des photos satellites,
jusqu'ici, ne permettaient pas de jauger la coupe sélective:
autrement dit, on ne voyait que les gros dégâts,
pas les petits. Il apparaît maintenant que ces petits
dégâts valent bien les gros.
Dans les cinq principaux États brésiliens
producteurs de bois, la coupe sélective a fait disparaître,
en 1999, quelque 19 800 kilomètres carrés,
lit-on dans l'étude qui vient de paraître dans
la revue américaine Science.
C'est deux fois plus que ce qui avait été
estimé auparavant. C'est même supérieur
à la déforestation proprement dite cette année-là,
qui n'était "que" de 16 100 kilomètres
carrés.*
L'étude, qui a porté sur la période
1999-2002, ajoute que la coupe sélective a même
empiété sur des terres soi-disant réservées
à la conservation.
Et si on ne l'avait pas vu plus tôt, ce n'est pas
parce que les images satellites n'étaient pas assez
précises: c'est à cause de la façon
dont on analysait ces images. Les chercheurs (cinq Américains
et un Brésilien), dirigés par Gregory Asner,
de l'Institut Carnegie à Stanford (Californie), ont
donc utilisé un logiciel de reconnaissance amélioré
pour détecter les "taches" les plus subtiles, inhérentes
à la végétation morte que laissent
derrière eux les forestiers lorsqu'ils enlèvent
un arbre.
"Nous
avons vu le fromage suisse de la forêt", résume
Gregory Asner dans le New Scientist. "Même
si ce ne sont parfois que de petits trous, c'est suffisant
pour laisser passer la lumière du soleil jusqu'au
sol et l'assécher."
L'analyse n'a pas pu dépasser l'année 2002
à cause d'une défectuosité technique
survenue alors sur le satellite d'observation LandSat. Aucun
autre satellite du genre n'est prévu avant 2011:
il pourrait donc s'écouler une décennie avant
qu'on ne sache si la tendance se maintient.
Une coupe sélective qui augmente le taux d'asséchement
du sol augmente
du même coup les risques d'incendies de forêts.
Elle signifie aussi davantage de dommages aux écosystèmes.
Et peut-être plus important encore, à l'échelle
planétaire, s'il y a moins d'Amazonie, il faut revoir
les calculs sur la capacité de ce poumon de la planète
à absorber les surplus de CO2 que les humains rejettent
dans l'atmosphère.
Pascal Lapointe
* Note:
une correction a été apportée à
cet endroit le 4 novembre 2005. La version précédente
portait confusion quant à ce qui a doublé
(c'est deux fois plus que ce que disaient les estimations
précédentes, mais ce n'est pas deux fois plus
que la déforestation proprement dite).