Le Groenland, c'est une énorme île
1,7 million de kilomètres carrés, soit
presque la taille du Mexique mais recouverte de 3
kilomètres de glace. Faites fondre toute cette glace
et le niveaux des eaux s'élève de près
de sept mètres sur l'ensemble de la planète.
Une fonte totale est un scénario qui ne se
produira pas avant des milliers d'années, ont
toujours dit les glaciologues. Aujourd'hui, ils n'en
sont plus aussi sûrs. Les calculs publiés
dans la dernière édition de la revue Science
confirment le scénario du pire évoqué
ces dernières années: la fonte s'accélère.
Dans l'immédiat, à défaut de pouvoir
prédire l'avenir du Groenland, ce sont les prévisions
sur la hausse du niveau des mers d'ici 2100 qu'il
faudra revoir à la hausse. |
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Par exemple, le glacier Kangerdlugssuaq a
triplé sa vitesse depuis 10 ans. Il s'écoule
à une vitesse de 38 mètres... par jour! Il
a perdu 250 mètres d'épaisseur, soit le quart
de sa hauteur.
Vingt et un glaciers du Sud-Est ont
accéléré leur fonte de 57% entre 1996
et 2005. Dans l'ensemble, la calotte glaciaire groenlandaise
a perdu 91 km3 en 1996, 138 km3 en 2000 et 224 km3 en 2005.
En comparaison: une mégalopole comme
Los Angeles utilise
un kilomètre cube d'eau par année.
Ces changements concernent tous la portion
Sud du Groenland, mais les chercheurs affirment que la tendance
va bientôt atteindre des glaciers situés beaucoup
plus au Nord, là où la couche de neige et
de glace est la plus dure et la plus épaisse.
Trois degrés de plus
Les optimistes diront que les pics de température
des dernières années ne sont peut-être
que des phénomènes transitoires, mais c'est
une transition qui dure: 9 des 10 années les plus
chaudes depuis un siècle ont eu lieu au cours de
la dernière décennie. Les chercheurs avaient
déjà prédit que cela se ressentirait
d'abord dans le Grand Nord eh bien c'est le cas: les deux
auteurs de l'étude dont il est question ici soulignent
une hausse de 3 degrés Celsius à Angmassalik
entre 1981-1983 et 2003-2005.
Cette étude, signée Eric Rignot
et Pannir Kanagaratnam, s'est basée sur les données
du satellite canadien Radarsat-1, récoltées
en 2000 et 2005, et sur les données des satellites
européens Envisat et ERS-1 et 2, récoltées
en 1996 et 2004. Les deux chercheurs ont également
dressé de longues analyses sur la dynamique des glaces
leur comportement pour tenter de comprendre
ce qui se passe quand un glacier, par exemple, fond sur
les bords: l'eau de surface s'écoule jusqu'au fond
rocheux, où elle agit
comme un lubrifiant, faisant "glisser" le glacier plus vite.
Des phénomènes similaires ont
été observés en Antarctique ces dernières
années.
"Une comparaison de données récentes
avec d'autres obtenues en 1957-1958 suggère que les
changements sont sans précédent pour les derniers
50 ans", explique Éric Rignot, un chercheur français
aujourd'hui employé au Jet Propulsion Laboratory
de la NASA, dans le cadre du congrès annuel de l'Association
américaine pour l'avancement des sciences, au Missouri
où cette étude a fait l'objet d'une
conférence très courue.
"Ce sont des glaciers très actifs,
poursuit-il. Similaires aux glaciers de l'Alaska: une fois
que vous les avez déséquilibrés un
tout petit peu, ils commencent à s'amincir et à
reculer très vite."
Ou encore, pour prendre une métaphore
plus inquiétante: "c'est un peu, dit-il, comme
si les barrages étaient en train de lâcher".
Si l'étude de ces deux spécialistes
des glaciers Pannir Kanagaratnam, lui, est au centre
de télésurveillance des calottes polaires
de l'Université du Kansas a fait tant de bruit,
ce n'est pas à cause de ses prévisions pessimistes,
mais parce qu'elle est la première à tenir
compte des changements récents de la vitesse de déplacement
des glaciers: cette dynamique vient donc s'ajouter aux multiples
données accumulées depuis les années
1990 sur la hausse des températures (notamment celle
des derniers millénaires, mesurée dans des
prélèvements de glaces) et sur la diminution
d'épaisseur des glaciers (mesurée depuis le
sol ou par des satellites).
Glaciologues, hydrologues et autres climatologues
en savent donc, aujourd'hui, un peu plus sur le comportement
des glaciers une information qui risque de se révéler
utile, non pas dans 1000 ans comme on le croyait, mais dans
moins de 100 ans.
Et qui sait si, d'ici là, le Sud du
Groenland ne se méritera pas à nouveau son
nom, donné par les Vikings au 10e siècle:
Groenland - Greenland - la terre verte.
Pascal Lapointe