Semaine du 13 décembre 1999

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La vie au congélateur


O
n croirait lire un récit du siècle dernier: des savants ont découvert des formes de vie inconnues, au fond d'une lointaine vallée oubliée... Mais il ne s'agit pas ici de dinosaures ou de King Kong ; et il ne s'agit certainement pas d'une vallée tropicale.

 

 

C'est l'un des derniers endroits inaccessibles de la planète, et un point de départ pour la recherche de vie extra-terrestre: on l'appelle le lac Vostok. Il a une profondeur de 210 mètres et une surface similaire au Lac Ontario. Mais il est invisible à l'oeil nu: il est dissimulé par plus de trois kilomètres et demi de glace, en plein coeur du continent glacial antarctique.

Pas moins de trois articles lui sont consacrés dans la dernière édition de la revue Science, qui témoignent d'un effort international autour de ce lac dont l'inaccessibilité n'a d'égal que la fascination qu'il crée : c'est un endroit qui n'a pas reçu de pluie depuis au moins un million d'années ; un endroit où la température au-dessus de lui n'a jamais été supérieure à moins 50 degrés Celsius ; un endroit qui n'a pas reçu le moindre rayon de soleil depuis une éternité. Et pourtant, c'est un endroit où, on en est maintenant presque sûr, la vie a réussi à s'accrocher.

Et si elle a pu s'accrocher là, dans l'un des endroits les plus inhospitaliers de la Terre, alors elle a peut-être pu s'accrocher sur un monde comme Europe, cette lune de Jupiter recouverte d'une couche de glace de plusieurs kilomètres d'épaisseur.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, parmi les commanditaires des recherches menées autour du lac Vostok, on retrouve la Nasa. Et ce n'est pas un hasard non plus si chacun des trois articles fait, dans sa conclusion, une allusion pas si subtile à la lune Europe.

Donc, trois articles : dont un qui porte sur le lac lui-même, et non sur la vie (qu'est-ce que c'est que ce lac, comment s'est-il formé, quel âge a-t-il, etc.). Car avant de déterminer s'il y a de la vie là-dessous, encore faut-il déterminer ce que c'est que cet environnement.

Le lac Vostok est le plus grand et le plus profond des 68 lacs dormant sous la calotte glaciaire du Pôle Sud. On connaît l'existence de certains de ces lacs depuis les années 70 (le lac Vostok a été ainsi nommé parce qu'il se trouve en-dessous de l'ex-station scientifique soviétique Vostok), mais ce n'est que ces dernières années que des échos radars ont permis d'en établir les dimensions. On présume qu'il est demeuré à l'état liquide, sur une profondeur d'un peu plus d'environ 210 mètres, grâce à une combinaison de chaleur dite géothermique, c'est-à-dire émanant de la terre, au-dessous de lui, et de la pression créée par les kilomètres de glace au-dessus de lui. Ce premier article donc, piloté par une équipe du CNRS français, sous la direction de Jean Jouzel présente, isotopes à l'appui, des indices suivant lesquels la partie inférieure du lac se serait formée il y a au moins un million d'années, et qu'à la suite d'un refroidissement du climat, le lac serait demeuré à peu près tel quel depuis 420 000 ans.

Des carottes de glace y sont été prélevées depuis le début des années 90, dans le but, à l'origine, d'en apprendre davantage sur le climat des derniers millénaires. La profondeur atteinte constitue aujourd'hui un record mondial. En 1998, une équipe franco-américano-russe prélevait des échantillons de glace au plus profond de ce puits, et c'est sur eux que se sont penchées les deux équipes responsables des deux autres articles. La première, dirigée par John C. Priscu, de l'Université du Montana, a planché sur un morceau de glace de tout juste 50 centimètres de long, dont la profondeur d'origine allait entre -difficile d'être plus précis- 3588,9 mètres et 3589,4 mètres. Une profondeur capitale, puisqu'elle ne se trouve plus qu'à 120 mètres au-dessus du niveau supérieur du lac : autrement dit, l'eau y est encore gelée, mais on est juste assez près du lac pour espérer y trouver de quoi d'intéressant, sans risquer de contaminer le lac lui-même.

Et c'est effectivement là, dans ce minuscule espace, que les chercheurs ont identifié des " bactéries dans des concentrations relativement élevées ". De la vie, là où nul ne l'aurait cru possible il y a seulement 20 ans. Ou plus exactement, de la vie préhistorique : ces micro-organismes semblent morts depuis longtemps. Qui plus est, la biodiversité de cet environnement était peu élevée, ce qui n'a rien d'étonnant dans un environnement pareil. Mais ces bactéries sont de proches parentes de bactéries tout à fait communes que nous côtoyons aujourd'hui.

Cette découverte est corroborée par celle de la troisième équipe, qui a travaillé sur un autre fragment, mais cette troisième équipe va plus loin. Elle affirme, elle, avoir mesuré la respiration de ces bactéries. En d'autres termes, résument ces chercheurs dirigés par David M. Karl, de l'Université d'Hawaii, non seulement y a-t-il de la vie au lac Vostok, mais cette vie n'est pas complètement " gelée " : lorsqu'on la " réveille " -en haussant la température jusqu'à 3 degrés Celsius- elle se remet à respirer.

Après un sommeil de 420 000 ans!


Mais encore ?
Tout ceci peut sembler aride pour le profane. Mais ce n'est pas tous les jours qu'on découvre un nouvel écosystème sur notre planète, aussi modeste soit-il. Et surtout, ce n'est pas tous les jours qu'on en découvre un qui ouvre autant de perspectives sur les écosystèmes qui auraient pu s'accrocher sur d'autres planètes, tout aussi inhospitalières que les profondeurs de l'Antarctique.

Reste à résoudre trois problèmes, résume Warwick F. Vincent, du Centre d'études nordiques de l'Université Laval, dans une synthèse que publie également Science. Tout d'abord, d'autres recherches devront être effectuées, pour apporter une complète assurance que, en dépit de toutes les précautions prises en 1998, ces bactéries ne sont pas le résultat d'une contamination amenée par les visiteurs humains. Ensuite, si elles sont de l'Antarctique, d'où proviennent-elles ? Sont-elles originaires du lac Vostok, où ont-elles été amenées là au fil des âges par des infiltrations d'eau extérieures ?

Enfin, troisième problème et non le moindre, comment s'assurer que l'écosystème unique au monde du lac Vostok ne sera pas, au cours des prochaines années, irrémédiablement détruit par la recherche scientifique ? Déjà, les forages soulèvent une inquiétude écologique. Ils ont bien pris soin de s'arrêter à 120 mètres au-dessus de la couche supérieure du lac, mais qui sait s'ils ne sont pas déjà allés trop loin ? Warwick Vincent rappelle qu'en mai 1999, lors de la 23e rencontre consultative sur le Traité de l'Antarctique, la Russie a déposé un rapport environnemental sur les opérations du lac Vostok, qui contenait une constatation inquiétante : le trou résultant du forage a été gardé ouvert pendant les huit années qu'ont duré ces opérations, grâce à l'injection d'un mélange d'essence -provenant des avions qui ravitaillent la station russe- et de fréon. En tout, jusqu'à 60 tonnes de ce mélange reposent maintenant dans les trois kilomètres et demi du trou, dont une tonne dans la section la plus proche du lac. Cette quantité rend impossible son retrait, encore moins son transport en-dehors du continent antarctique. Il suffirait de peu de choses -un forage un peu plus profond, par exemple- pour que ce liquide " pollue l'un des derniers réservoirs d'eau primitive de cette planète ".

Et ce ne serait vraiment pas un exemple à donner aux biologistes qui, un jour, creuseront des trous sur d'autres planètes...

 

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