Histoire de l'alcool en Nouvelle-France
Agapes, cabarets et ivresse
(ASP) - "Les Canadiens de la Nouvelle-France
consommaient plus d'eau-de-vie que de vin. Et chez les
classes populaires, l'eau-de-vie remplaçait le
café. Alcool et pain, telle était la collation
du matin ".
Ainsi, dès cette époque, les
Canadiens adoptent des habitudes de boissons particulières,
raconte Catherine Ferland, étudiante au doctorat
en histoire à l'Université Laval. Elle présentera
en mars sa thèse, Bacchus au Canada, boissons,
buveurs et ivresses en Nouvelle France, 17e et 18e siècles.
Contrairement à l'optique de sociabilité
des Français, l'alcool s'avère plutôt
une occasion de fêter. Comme les vins sont importés,
et donc chers, les Canadiens privilégient la consommation
d'eau-de-vie. Une petite lampée aide même
à démarrer les froides journées de
travail !
Loin de l'alcool, c'est l'immobilier qui
a aiguillé la curiosité de Catherine Ferland.
Son intérêt pour le marché locatif
de la ville de Québec a révélé
que les tenanciers y étaient très actifs
entre 1600 et 1760. Elle a fait également de nombreuses
découvertes en consultant le registre des cours
judiciaires. "On y retrouve les différents types
d'alcools consommés, la fréquentation des
divers cabarets suivant la profession, toutes les pratiques
qui touchent le commerce des boissons."
Les premiers cabarets sont apparus dès
le début de la colonie. Dès 1660, on en
trouve plusieurs fréquentés par les cordonniers,
les charretiers, etc. Chaque profession possède
son propre lieu d'agapes
proche de son travail.
Le cabaret s'avère un commerce fort lucratif. Il
est souvent le second métier déclaré
d'un officier ou d'un tanneur. Et même de l'Intendant
Jean Talon !
Du vin de France à la guildive
Alors que l'élite déguste
des vins de France, d'Espagne ou de Madère
et des liqueurs de prix, tel le champagne, le peuple n'est
pas en reste avec son eau-de-vie. "Les Canadiens avaient
accès à une bonne variété
de boissons car en plus des importations d'Europe, ils
disposaient de la proximité du marché colonial
français des Antilles", relève Catherine
Ferland. Cela leur permettait de taquiner aussi la "guildive",
une sorte de rhum antillais.
Les quantités d'alcool importées
sont impressionnantes: en 1750, année de forte
augmentation, un million de litres parviennent au port
de Québec. Un débordement que Catherine
Ferland explique par l'accroissement du contingent de
l'armée.
Cette marée d'alcool n'est pas sans
effets dévastateurs. "L'alcool va être l'un
des facteurs du déclin de la population amérindienne.
Cette monnaie d'échange, lors de rapports commerciaux
avec les Blancs, va entraîner une forte désorganisation
sociale." L'apparition de la distillerie à grande
échelle au 18e siècle va également
doper la consommation d'eau-de-vie. Tout comme en Europe,
elle va provoquer de forts ravages chez les classes ouvrières
et populaires.
Bientôt, la population va compenser
les fluctuations des importations d'alcool par une production
locale, à l'image de ce qui se passe déjà
dans les campagnes. Il faut se rappeler que les importations
restent soumises au contexte politique. Ainsi ,la Guerre
de 7 ans qui déchire l'Europe fait flamber le prix
des liqueurs car de nombreux bateaux et de cargaisons
ne parviennent plus à bon port.
Alors que l'acclimatation des vignes européennes
et la culture des vignes sauvages périclitent,
on voit apparaître une production de cidres et de
bières d'épinette. La vinification est rapidement
abandonnée tandis que la production de bière
prend son essor. La bière, qui deviendra rapidement
l'une des boissons les plus populaires au Canada.
Isabelle Burgun